Arrêt-buffet

1952 Restauration rapide, train traînant

"Dans ma mémoire, «arrêt-buffet» est précédé de «La Loupe» et suivi de «Vingt minutes d'arrêt». Je ne garantis pas le nombre de minutes de l'intermède mais je suis certain que le temps imparti avait la longueur d'un entracte c'est-à-dire que, comme au théâtre, il était suffisamment long pour impatienter ceux qui n'étaient pas venus pour cela et qu'il était trop court pour éviter que ne se bousculent ceux qui étaient assoiffés ou affamés (et ne comptaient pas sur leurs propres provisions faites avant le départ)."

Un chef de gare dans les années 50

"L'annonce faite par le chef de gare de La Loupe (il n'y avait pas de voix synthétisée et, faute de sonorisation, sans doute utilisait-il un porte-voix), chef lieu de canton situé dans la partie Ornaise du Perche, était clairement audible dans le wagon aux vitres grandes ouvertes (il n'y avait pas de climatisation et, en période estivale, les arrêts en gare offraient l'occasion de rafraîchir un peu le compartiment-diligence sans risquer une fluxion de poitrine ou, plus sûrement, une escarbille dans un œil)."

Gare Montparnasse dans les années 50
Gare Montparnasse dans les années 50

"Nous ne sommes qu'à 130 kilomètres de Paris-Montparnasse mais cela fait deux bonnes heures que nous cheminons dans ce train omnibus qui s'est déjà arrêté une dizaine de fois dans des cités connues (Versailles, Rambouillet, Chartres …) puis dans d'autres aux appellations plus dépaysantes (Saint-Luperce, Courville sur Eure, Pontgouin...). Nous empruntons l'omnibus car nous devons changer de train à la gare de Condé sur Huisne, deux stations et une vingtaine de kilomètres après La Loupe, pour nous rendre en vacances chez des agriculteurs amis de mes parents."

Carte de situation La Loupe Condé sur Huisne

"Nous effectuons ce trajet plusieurs fois au début des années cinquante, ce qui explique que je garde une réminiscence précise de l'arrêt longuet et bien plus vague du buffet que nous ne fréquentons pas systématiquement.

Voilà à quoi se limitait mon souvenir avant d'écrire cette chronique. Encore ai-je dû compter sur les horaires SNCF d'aujourd'hui pour reconstituer le périple détaillé. J'ai ainsi constaté que l'omnibus des années cinquante n'avait guère changé de rythme si ce n'est la disparition de l'arrêt de longue durée de La Loupe mais qu'il était tout de même devenu, par la grâce du règne des euphémismes, un «train express régional» (express était réservé dans les années cinquante à un train intermédiaire entre le rapide et l'omnibus).

De La Loupe, je ne connaissais rien et, n'y étant jamais retourné depuis lors, j'ai satisfait ma curiosité à distance. J'ai d'abord découvert une gare-mairie aux dimensions grandioses pour une aussi petite commune. Ses proportions se rapprochaient de celles de la gare de Rennes, également construite dans la seconde partie du 19ème siècle, Rennes qui comptait alors plus de 50 000 habitants, soit de l'ordre de 25 fois plus que La Loupe."

Buffet de Condé sur Huisne avec sa tonnelle ombragée donnant sur les quais
Buffet de Condé sur Huisne avec sa tonnelle ombragée donnant sur les quais

"Je me suis alors interrogé sur ce qui expliquait la taille démesurée de cette gare. La présence d'un buffet n'avait rien d'étonnant car de petites gares comme par exemple celle de Condé sur Huisne (moins de mille habitants) en était dotée ainsi qu'en témoignait une vieille carte postale. En revanche, le choix d'imposer là une suspension prolongée du voyage restait mystérieux.

Au terme d'une investigation aidée notamment de l'ouvrage «Le Perche, de gare en gare», j'ai trouvé plusieurs explications possibles sans toutefois être en mesure d'établir une hiérarchie et a fortiori de faire un choix entre celles-ci :

  • La Loupe a été un temps le terminus en provenance de Paris, après une longue rampe au départ de Chartres. De ce fait, elle a été d'emblée élevée au rang de dépôt de locomotives avec une plaque tournante;

  • Lorsque la ligne a progressivement été prolongée jusqu'à Brest, peut-être restait-il nécessaire de redonner de l'énergie à la machine à vapeur, de reconstituer des réserves d'eau et de charbon avant qu'elle ne reprenne sa course toute relative;

  • La Loupe, qui ne voyait déjà plus passer en 1952 que les trains de cet axe est-ouest, a été plusieurs décennies durant et jusqu'aux années trente un nœud ferroviaire. Croisant quasiment à angle droit, une ligne desservait Brou à 35 kilomètres au sud, une autre Prey via Senonches à 69 kilomètres au nord. Alors que Mortagne était déjà relié à cette ligne via Condé sur Huisne, un tramway La Loupe-Mortagne passant plus au nord par La Chapelle Montligeon fut même créé en 1913. Ce tramway des «voies ferrées économiques de l'Orne» ne devait du reste pas être aussi économique que cela puisque son exploitation prit fin dès avril 1935."

Buffet de la gare d'Annot (Alpes de Haute Provence)
Buffet de la gare d'Annot (Alpes de Haute Provence)

"La taille largement dimensionnée de cette gare initialement terminus et point de correspondance de plusieurs lignes du réseau du Perche combinée aux nécessaires arrêts techniques fréquents des locomotives à vapeur sont donc certainement à l'origine du choix d'un arrêt-buffet.

La disparition des lignes locales et l'abandon de la vapeur annihilaient ces justifications."

Gare d'Orléans (Loiret)
Gare d'Orléans (Loiret)

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"Les buffets de gares ont fermé dans leur immense majorité, à commencer par les plus modestes comme ceux de la ligne du train des pignes en Provence. Puis les villes moyennes ont subi la même évolution. A Orléans, le buffet de la gare n'a pas survécu à la refonte du bâtiment il y a quelques années. Un unique négoce regroupe dorénavant la commercialisation de la presse, du tabac et de la «vente à emporter» ou à manger sur le pouce sur l'une des petites tables confinées dans un renfoncement. Fin 2014, les buffets de Pau et de Valenciennes semblaient promis au même sort."

Le train bleu à la gare de Lyon

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"Ne subsistent plus que des lieux emblématiques par leur décoration ou leur notoriété gastronomique comme le Train Bleu à la gare de Lyon, lequel a d'ailleurs perdu son appellation de buffet depuis 1963 et, au vu de sa carte, s'adresse apparemment plutôt à une clientèle parisienne et aisée qu'à des voyageurs en transit."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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