Catherinette

1969 Chapeaux de signalisation

En novembre 1969, j’étais employé, pour quelques mois encore, dans une entreprise de compteurs pour automobiles et aéronefs, les établissements Jaeger, entreprise dont les ateliers et bureaux étaient
Station de métro Levallois Bécon au 21ème siècle, Levallois commune huppée

"En novembre 1969, j’étais employé, pour quelques mois encore, dans une entreprise de compteurs pour automobiles et aéronefs, les établissements Jaeger, entreprise dont les ateliers et bureaux étaient installés à Levallois-Perret .

Cette commune limitrophe de Paris n’était alors pas le lieu résidentiel et huppé qu’elle est devenue aujourd’hui, figurant dans le 1% des communes les plus riches de France. Son maire, Parfait Jans, était communiste et le contraste était saisissant avec Neuilly, sa voisine à quelques centaines de mètres de mon entreprise."

 

Usines Citroën à Levallois au 20ème siècle
Usines Citroën à Levallois au 20ème siècle, Levallois commune ouvrière

"A la sortie du métro Pont de Levallois-Bécon se dressait la plus ancienne des usines Citroën dans laquelle étaient fabriquées les 2CV et les plus récentes Dyane . Le trajet jusqu’à mon entreprise était jalonné de modestes maisons basses, de « logements sociaux » et, surtout, d’ateliers divers. La Bourse du Travail, haut-lieu de débats en mai 1968, était située dans une rue perpendiculaire et l’on croisait couramment alentour des hommes en bleus ou en blouses bleues (ceux des ateliers) et en blouses blanches (ceux des « bureaux »). Les femmes étaient en nette minorité.

C’est dans ce décor d’un faubourg laborieux que les Catherinettes de mon entreprise étaient exceptionnellement autorisées le 25 novembre à quitter leurs uniformes habituels pour arborer une tenue qui révélait leur célibat avéré en dépit de leurs 25 années. Après avoir arpenté les étages des bâtiments qui occupaient les deux côtés de la rue Baudin sur une centaine de mètres, elles étaient même autorisées à s’égayer dans les abords pour se faire admirer, rejoindre leurs congénères des autres entreprises et, qui sait, nouer des relations propices à remédier à leur infortune ."

Modiste (vers 1934)
Modiste (vers 1934)

"Ayant campé le décor, appliquons-nous à examiner les costumes. En dehors de leur « tenue civile », en elle-même exceptionnelle puisque celle-ci était strictement réservée aux grands chefs, le chapeau constituait, si j’ose dire, la cerise sur le gâteau avec ses couleurs jaunes et vertes caractéristiques de celles des costumes de bouffons.

Il faut ici rappeler que le port de chapeaux était encore assez répandu : le couvre-chef marquait souvent l’appartenance sociale (la casquette ou le chapeau-melon) ou régionale (la coiffe bretonne et le béret basque). Modistes et chapeliers constituaient des commerces courants : sur le seul boulevard Saint-Marcel, dans les années soixante, j’ai gardé le souvenir précis d’au moins deux de ces boutiques dédiées à la réalisation et à la vente de chapeaux. On ne dénombre plus aujourd’hui dans la France entière qu’une centaine de ces commerces, encore ceux-ci sont-ils réservés à une clientèle fortunée, ce qui n’était alors pas le cas."

 

"Le décor ayant été campé et les costumes présentés, passons maintenant à nos actrices, les Catherinettes. Le cap des 25 ans constituait donc en quelque sorte une cote d’alerte pour de « vraies jeunes filles » comme l’on disait alors.

Cela ne peut se comprendre qu’en considérant que l’âge moyen auquel les jeunes filles convolaient était en 1969 de 22 ans et 4 mois (23 ans et 6 mois pour les hommes) . Cet âge est aujourd’hui supérieur à 30 ans pour les femmes comme pour les hommes."

" ...la femme était encore souvent plus perçue et considérée comme « épouse et mère » que comme une personne autonome ayant fait le choix de vivre en couple et, le cas échéant, d’avoir des enfants."

"En 1965, Jean Ferrat avait écrit pour le film de René Allio « la vieille dame indigne » la chanson « on ne voit pas le temps passer », chanson qui commençait ainsi : « on se marie tôt à vingt ans et l’on n’attend pas des années pour faire trois ou quatre enfants qui vous occupent vos journées »."

"Il était fréquent que le score évoqué de « trois ou quatre enfants » soit atteint voire largement dépassé. Un prix était décerné chaque année, le prix Cognac, aux plus performants dans ce domaine. Ainsi pourrait-on voir au journal télévisé du 13 décembre 1971 le jeune journaliste Daniel Bilalian s’entretenir avec une femme de 39 ans, mariée à 20 ans (comme dans la chanson) et déjà à la tête d’une tribu de 20 enfants. Célibataire à 25 ans, il devenait difficile d’espérer un jour être récompensée …"

"Pour augmenter ses chances d’échapper à la qualification de « vieille fille »" ... "la demoiselle devait démontrer ses talents de « bonne ménagère ». Il y avait des écoles pour cela. Durant une séquence du journal télévisé du 1 novembre 1959, la Directrice d’une « école ménagère » définit son objectif : « aider les élèves à devenir de bonnes ménagères en espérant qu’elles seront ainsi appréciées par leurs maris ». La jeune fille « de bonne tenue » pouvait donc accéder au rang envié de « maîtresse de maison » aux côtés du « chef de famille »."

"Cette quasi-obligation sociale de se marier sera bien illustrée dans un entretien télévisé diffusé le 25 novembre 1975, entretien durant lequel le journaliste s’étonnera à plusieurs reprises qu’une Catherinette puisse ainsi vivre seule à 25 ans et que … « toute sa vie » … et « à un certain âge » …"

Catherinette à la fête de Montmartre
Catherinette à la fête de Montmartre

 

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"il serait plutôt scabreux de déplorer l’extinction d’une manifestation d’origine communautaire qui transformait des personnes en objets d’exposition, les affublant de coiffes ostentatoires révélant leur âge et mettant en exergue leur chasteté pour provoquer l’attraction de personnes du sexe opposé.

 

Quant à faire de la sainte Catherine un prétexte à des réjouissances en y mettant la dose de dérision qui convient et sans exigences de curriculum vitae pour ces actrices d’un jour, pourquoi pas ?"

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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