Chaises à louer

2018 Chaises assiégées

Chaises au jardin du Luxembourg au 21ème siècle
Chaises au jardin du Luxembourg au 21ème siècle

"   Les chaisières définitivement (?) envolées, les chaises n'ont pas pour autant intégralement disparu des jardins publics. Elles continuent à donner à chacun le choix de sa relation aux autres à un instant donné, de l'isolement face aux plate-bandes à la réunion en cercle, parfois autour d'une table pliante accueillant un jeu de société.

Banc à sièges séparés

Elles ont même fait des émules. Dans les années écoulées, les bancs qui avaient l'avantage de faciliter une étroite proximité, ainsi que le chantait Georges Brassens dans «les amoureux des bancs publics», ont été de plus en plus souvent segmentés en une série de sièges individuels séparés par de proéminents accoudoirs de telle sorte que les humains errants ne puissent les utiliser à la mode des indolents estivants affalés en lisière de la grande bleue.

Plagiste trimballant des chaises

Et cependant, ces chaises-longues des plages privées n'offrent pas les mêmes facilités de choix que les chaises des jardins publics. Elles ont une place assignée dans l'espace du commerce et quand bien même voudrait-on les déplacer qu'on ne le pourrait pas compte tenu du taux de remplissage du lieu.

 

Pour avoir ce droit-là, il faut venir avec son propre mobilier et l'installer sur un espace public à condition qu'il ne soit pas déjà congestionné par les autres estivants.

 

Or, cet espace public s'est réduit au cours des dernières décennies, ainsi qu'on l'a constaté en faisant une halte en 1974. Les bâtiments associés aux installations de chaises-longues et de parasols n'ont plus rien eu de provisoires, se dotant souvent de haut-parleurs pour créer l'ambiance appropriée aux goûts de clients épris de farniente (en bon français, de feignasser).

Ces constructions de commerces comme celles de villas par des particuliers s'appropriant en quelque sorte le littoral ont commencé à susciter la réaction des pouvoirs publics à partir de 1975. Cela s'est concrétisé par la loi littoral en 1986 complétée par le «décret plage» publié en 2006 sous le gouvernement de Dominique de Villepin, texte qui prévoyait notamment un plafonnement à 20% du littoral occupé par ces installations et la nécessité de les démonter pour ce qu'il est convenu d'appeler la morte saison (une expression qui conviendrait d'ailleurs mieux ici à la saison dite haute et à ses champs du repos).

Restaurant détruit en 2013 à Juan-les-pins

Dès lors, un grand nombre de nos chaises-longues en location se trouvaient en grand péril de repliement. Tout particulièrement à Juan-les-pins où le pourcentage de plages privées atteint l'inverse, 80%.

 

Pour autant, sous les gouvernements successifs de 2006 à 2016, ce décret est quasiment demeuré lettre morte. Il y a bien eu quelques destructions de villas en application de la loi littoral. Au titre du décret plage, je n'ai trouvé pour tout le territoire que la démolition du restaurant La Provence à Juan-les-pins, encore celle-ci était-elle intervenue à la fin du bail de location et concernait-elle un bâtiment à l'aspect crapoteux.

 Les destructions permettant une réhabilitation des lieux ont été engagées en 2016 et se poursuivent depuis lors, non sans réaction des patrons de plages qui invoquent l'incidence sur les emplois, argument recevable en ce qui concerne leurs installations propres mais pas forcément au niveau de la cité. Les estivants auront toujours la nécessité de se restaurer et, par exemple, des commerces pourraient leur proposer à proximité de la plage des chaises-longues légères en location.

D'osées arguties ont également été avancées en vertu des traditions: ces installations auraient existé «depuis toujours».

Court toujours: on a vu que les plus anciennes ont moins d'un siècle et que le gros bataillon a occupé les lieux durant les dernières décennies.

 

Plus fort encore, la destruction du «patrimoine» est proclamée. Il s'agit de défendre de nouveaux chefs d’œuvres en péril.

Audacieuse et, osons le dire, quasi révolutionnaire conception de notre patrimoine s'agissant de monuments que l'on croyait inclassables pour toujours.

 

Petite exposition du patrimoine amputé dont il est question

Rimini (Italie) : un exemple à suivre de conservation du patrimoine côtier ...
Rimini (Italie) : un exemple à suivre de conservation du patrimoine côtier ...

 

En ce qui concerne les chaisiers-serveurs, ils auront toujours la possibilité de se reconvertir en serveurs de plage itinérants sur les espaces libérés … mais il leur faudra retrouver l'endurance à la marche des vieilles chaisières des jardins publics.

 

 Chronique publiée en avril 2018

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien