Dactylo

1970 Pool de luxe

Dactylo années 50

"De mon enfance, je conserve trois souvenirs associés à une profession qu'évidemment je ne côtoyais pas encore.

Le premier provient des revues que lisaient mes parents : des encarts publicitaires y vantaient des méthodes de sténographie et bien entendu les écoles qui les dispensaient, faisant miroiter aux jeunes filles un avenir enviable (pour les jeunes hommes, les lendemains qui chantent étaient plutôt liés à une maîtrise de la TSF et de la télévision).

Le deuxième réminiscence est associée aux salles de cinéma de mon quartier : aux actualités de la semaine figuraient en bonne place les championnats de dactylographie (lesquels ne parvenaient toutefois pas à détrôner les incessants changements de gouvernements)."

Mon terrain de jeu devenu parking
Mon terrain de jeu devenu parking

"La troisième série d'images provient des artères de mon quartier (le cinquième arrondissement de Paris, en limite du treizième). Le boulevard Saint-Marcel ou nous résidions était alors doté de larges trottoirs (pas ceux que l'on observe aujourd'hui, rétrécis au profit de la circulation et encombrés de voitures en stationnement). Ces trottoirs offraient un tel espace que je pouvais sans gène m'y livrer à des rodéos de patinette.

L'école reconvertie
L'école reconvertie

Une partie du boulevard échappait à cette tranquillité, celle qui était au pied d'une école de sténo-dactylo ou s'égayaient en nombre les grandes écolières et quelques-uns de leurs galants. Des écoles du même genre, j'en voyais d'autres au cours des promenades avec mes parents (elles ont depuis lors disparu ou ont opéré une reconversion)."

Machine à écrire
IBM "Executive electric typewriter"

...

"Plus tard, mon premier souvenir d'une dactylo en milieu professionnel est associé à celui du remplacement d'une machine à écrire classique avec chariot-retour manuel par une machine IBM électrique à boule. En 1968, la boule suscitait l'intérêt des collègues tout autant que la touche d'effacement qui permettait de se dispenser du petit pot de Typp-ex et de son pinceau à biffer les erreurs avant de reprendre la cadence en ayant pris soin d'attendre que la peinture blanche soit sèche."

"J'en viens à l'année 1970 et au titre que j'ai choisi «pool de luxe».

Dans les grandes administrations, il était alors courant que les dactylos soient regroupées dans de grandes salles en «pools», comme pour les compétitions que l'on voyait dans mon enfance aux actualités cinématographiques.

Aux Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne ou je venais d'être engagé dans le service en charge de l'organisation, le responsable disposait à la fois de six chargés d'études et de cinq sténo-dactylos plus ou moins secrétaires. Cet étrange effectif s'expliquait non pas par une production échevelée des chargés d'études mais par le regroupement dans un petit pool de la force de frappe des membres de la Direction qui occupaient les bureaux du deuxième étage du batiment donnant sur la Bourse de Paris. C'était donc ce que j'ai choisi de dénommer un «pool de luxe»."

...

"Les relations entre chargés d'études et les membres du «pool de luxe» étaient cordiales, des relations entre collègues. Il entrait en revanche de la déférence, voire de la soumission révérencieuse exagérément subordonnée, dans les relations avec le patron.

Dans un «manuel de la parfaite secrétaire» publié en 1971, je retrouve ce type de rapport qui perdurerait jusqu'aux années quatre-vingt (peut-être existe-til encore marginalement aujourd’hui mais j'en doute): «la secrétaire joue un rôle de maîtresse de maison vis-à-vis de son bureau et de celui de son patron, veillant à ce que le ménage y soit bien fait, les objets et documents à leur place, créant chez un patron surmené des moments de détente en servant ou en faisant servir des boissons, en apportant et en faisant venir des fleurs». Le patron pour sa part «essaiera de ne pas l'oublier à ses retours de voyages ou à l'occasion de certaines fêtes ou manifestations». Le profil de la secrétaire est ainsi complété en regard de son attitude en présence de nouveaux outils: «les femmes ne sont pas en général portées vers la technologie des matériels; elles sont peu intéressées par le mécanisme, le fonctionnement, la fabrication; par contre, elles apprécient ce qui est beau, esthétique, ce qui diminue la fatigue, ce qui accroît leur efficacité, ce qui met en valeur leur travail et leur fonction sans trop bouleverser leurs habitudes»."

Couverture du livre "le roman d'une dactylo"

"En 1961, Eddy Mitchell chantait  une ode aux dactylos (rock) dont se dégageait cette relation un peu ambiguë, pas vraiment professionnelle, entre "dactylo-secrétaires" et "directeurs":

Elles sont douces et très jolies

Ce sont les plus belles filles de Paris

Pour faire leur conquête

Les directeurs perdent la tête

etc

Tous les espoirs étaient donc permis à celle qui se conformait au profil escompté, jusqu'à, suprême consécration, devenir l'épouse du patron.

Et cela n'arrivait effectivement pas que dans les chansons, les romans et les films …"

 

 

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Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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