Edicule

1956 A bout de bras

Marchande des 4 saisons
Au marché Mouffetard, place Saint Médard

"En 1956, on peut lire dans un journal parisien sous le titre «Les marchands de quatre saisons sont appelés à disparaître» le texte suivant: «Il y a dans Paris 2407 marchands des quatre saisons … Mais ces «crainquebilles» sont appelés à disparaître. Le préfet de police a en effet suspendu toute attribution de nouvelles licences et les marchands décédés ne peuvent être remplacés. Ainsi estime-t'on que, dans 20 ans, il n'y en aura pratiquement plus dans la capitale dont la circulation s'en trouvera (peut-être) améliorée».

Deux points peuvent être ici soulignés: l'utilisation du terme marchand au masculin pour un métier qui était très majoritairement exercé par des femmes (marque d'une prédominance donnée à l'homme en toutes circonstances?) et, moins anecdotique, la révélation que la fin de cette profession typiquement parisienne n'a pas disparu du seul fait du transfert des Halles Centrales en banlieue comme on le pense généralement."

Rue de Bazeilles aujourd'hui
Rue de Bazeilles aujourd'hui

Durant les années cinquante, la densité du parc automobile augmente considérablement et l'on imagine aisément que les 2407 charrettes à bras partant et revenant chaque jour du centre de Paris pour approvisionner la capitale constituent un sujet d'agacement pour les nouveaux automobilistes.

Mon souvenir des marchandes de quatre saisons est attaché à la rue de Bazeilles, aussi large que l'avenue des Gobelins dont elle constitue le prolongement mais très peu fréquentée car elle ne débouche que sur la rue Mouffetard pratiquement réservée aux piétons. La rue ne comporte pas le terre-plein central arboré et les véhicules de livraison des commerçants (commerces de bouche essentiellement) qui occupent le côté impair stationnent un peu n'importe comment.

Marchande des 4 saisons

J'ai tout le temps d'observer car ma mère a pris l'habitude d'engager la conversation avec l'une des marchandes dont les charrettes à bras sont alignées les unes derrière les autres le long du trottoir commerçant. Les marchandes (aucun homme si ma mémoire ne me trahit pas) sont des femmes d'âge mûr, souvent plus. La profession ne doit plus guère recruter. Elles peuvent certes vanter la fraîcheur de leurs produits charroyés le matin-même depuis Les Halles, à trois kilomètres de là, mais, contrairement à ce que je lis aujourd'hui, elles ne rivalisent pas d'exubérance.

La charrette à bras est compartimentée en mini-rayons de fruits et légumes, chacun d'entre eux étant accompagné d'une ardoise sur laquelle figure le prix. Surmonté. La pesée s'effectue sur une balance Roberval à plateaux et à poids en fonte (un contrepoids en fer blanc compense le poids du récipient si nécessaire). L'emballage est réalisé dans des vieux journaux si la cliente le souhaite.

Pour abriter la marchande et les clients, une toile goudronnée en débords est accrochée à l'armature métallique légère qui prend appui aux quatre coins de la charrette.

Ces charrettes, je ne les vois jamais qu'immobilisées car les marchandes descendent de la Montagne Sainte Geneviève avec leurs chargements tôt le matin. Même si ladite montagne culmine à 61 mètres au-dessus du niveau de la mer, cela ne doit pas être si facile de retenir cette charrette massive en bois avec tout son chargement en descendant la rue Mouffetard et les trois kilomètres en sens inverse, même à vide, à parcourir par tous les temps doivent également représenter un travail pénible pour ces femmes qui ont dépassé le stade de la «force de l'âge».

 

L'histoire des marchandes de quatre saisons s'arrête en mars 1969 avec le transfert des Halles à Rungis."

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"L'extinction de la profession intervient donc plus tôt que ne la prévoyait le journaliste en 1956. Cependant, indépendamment des décisions prises en haut lieu, la profession était vouée à disparaître, simplement du fait de la pénibilité de ce travail.

Peut-être subsiste-t'il quelques achalandages utilisant pour le pittoresque de la chose des charrettes à bras (en 1994, un auteur en identifiait notamment rue Montorgueil) mais ces étals ont plus à voir avec les brouettes garnies de fleurs sur les gazons des pavillons qu'avec les attelages des femmes de peine de mon enfance."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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