Limonade

1973 La pétillante ne fait plus sa sucrée

Bouteille de limonade Dumesnil

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"Cette boisson associée essentiellement à une période lointaine de ma vie se présentait en bouteilles d’un litre plein, une contenance qui était aussi celle des bouteilles de bière et de vin ordinaire.

Les brasseurs étaient souvent également des fabricants de limonade. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les deux breuvages partageaient un conditionnement similaire. Comme sa sœur alcoolisée, ma bouteille de limonade se distinguait par un système de fermeture fixe composé d’un bouchon en porcelaine blanche garni sur la surface de contact avec le goulot d’un anneau en caoutchouc marron moyen (la même couleur que celle des pneumatiques des vélos d’alors). Ce bouchon était fixé sur la bouteille par un dispositif en fil de fer que l’on pressait pour assurer une fermeture hermétique qui permettait de conserver aux bulles toute leur virulence."

"Ces bouteilles en verre véhiculées dans des cageots en bois étaient consignées comme l’étaient les bouteilles d’eau et de vin (et jusqu’aux petits pots de yoghourt) . Contrairement à la bière Valstar dotée d’une simple capsule jetable , la limonade Dumesnil, la limonade qui devait provenir du magasin Hauser presqu’au pied de notre immeuble, était exemplaire en matière de recyclage puisque l’ensemble, bouchon inclus, était remis en circulation contre remboursement de la consigne."

Tête de cheval, emblème de Dumesnil?

"Cette limonade avait une lointaine origine locale car au 19ème siècle, la première brasserie de M Georges Dumesnil était installée rue Duméril à quelques centaines de mètres de notre appartement. C’était la « brasserie du marché aux chevaux », lequel se tenait alors dans un espace incluant le boulevard Saint-Marcel ou nous résidions. M Dumesnil avait emprunté l’emblème de ses bières et limonades à la tête de cheval statufiée qui ornait (qui orne encore aujourd’hui) la maison d’un marchand de chevaux et de poneys 13 rue Geoffroy Saint Hilaire, à cent mètres de notre immeuble."

"A côté de ces firmes bien installées qu’étaient Dumesnil et Valstar, quantité d’autres entreprises, également disparues, se partageaient le marché ainsi qu’en témoignent les traces publicitaires. On observe sur ces documents que la clientèle visée était surtout celle des enfants du baby-boom."

Buvard limonade Viva

"Une illustration en est donnée par un buvard vantant les bienfaits de la limonade Viva. Le buvard était un ustensile essentiel à des écoliers qui n’étaient autorisés à écrire qu’à l’encre et au porte-plume et qui devaient savamment doser la pression de la main pour calligraphier pleins et déliés en se gardant des trop pleins qui se transformaient en pâtés."

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"Que s’est-il donc passé entre ces années cinquante et 1973 pour que la limonade perde sa suprématie auprès des enfants, à un point tel qu’elle puisse figurer comme un mot oublié dans le film de Jean Eustache ?

Ainsi que pour bien des micro évolutions de la société française contemporaine, faute d’analyses étayées et d’ouvrages de référence, on est réduit à formuler des hypothèses.

La limonade, produit riche en sucre à destination d’enfants nés sous une période de restriction (tickets de rationnement jusqu’en 1949) pouvait être considérée comme une sorte de complément alimentaire. Après la guerre, le sucre était contingenté et, dans les actualités cinématographiques de l’époque, sa nécessité était présentée à l’équivalent de celle de la viande. Cette période s’éloignant et l’information sur les risques de consommer trop sucré étant mieux relayée par les média (jusqu’à parler d’addiction comme pour l’alcool), la limonade très généreusement sucrée des années cinquante n’était plus vraiment dans l’esprit du temps. Néanmoins, cette explication a des limites car, dans le même temps, d’autres boissons sucrées (moins sans doute) comme les sodas ou le coca-cola ne subissaient pas cette mise à l’écart."

"Paradoxalement, alors que la limonade qui disait son nom était boudée, d’autres boissons similaires dotées d’appellations anglo-saxonnes (7up, Sprite) trouvaient leur public. On peut donc penser que l’image de marque et l’aura apporté par des consonances d’outre Atlantique ont joué un rôle dans cette désaffection.

 

Etonnant retournement de situation quarante ans plus tard : la limonade revient en ne se dissimulant plus et en se déclarant française comme un attribut d’exotisme. C’est pour réapparaitre sous des formes qui l’apparentent plus aux sodas (aromes divers souvent très éloignés de celui du citron) et ce sont les Etats-Unis qui en sont les premiers acheteurs … "

 

Quelques illustrations :

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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