Livre

1963 Grande poche

 

"  Alors qu'en 1953 je devenais un lecteur, un phénomène d'édition naissait : la création du livre de poche, lequel allait prendre une part significative dans la diffusion de la culture.

 

En fait, en me documentant pour écrire cette chronique, j'ai appris qu'il ne s'agissait ni d'une création originale, ni d'une initiative nationale :

  • des collections d'ouvrages à des prix plus accessibles avaient eu lieu auparavant, notamment la Bibliothèque des Chemins de Fer qui avait été lancée en 1852 par Hachette (détenteur des bibliothèques de gare),

Grandes poches au niveau des genoux d'une tenue de combat
  •  la formule «pocket book» avait été utilisée aux États-Unis pour, dit-on, répondre à la demande de GI's souhaitant oublier momentanément le théâtre des opérations.

 

C'est bien là que le bât blesse car si les poches des tenues de combat sont largement dimensionnées (bien que n'ayant pas combattu, j'en ai porté durant mon service militaire), les poches des tenues civiles sont plutôt destinées à accueillir des mouchoirs, de la monnaie ou des papiers d'identité). Se déformant à l'introduction d'un livre de poche de quelques deux cent pages, elles sont totalement rétives quand l'ouvrage «de poche» dépasse les mille pages … et une épaisseur de plus de 5 centimètres.

 

 A l'évidence, l'appellation de «livre bon marché» eût été plus appropriée. Mais dès les années 50, le recours aux euphémismes commençait à sourdre. Ainsi, en 1950 avait-on débaptisé les Habitations Bon Marché (HBM) pour les gratifier d'Habitations à Loyer Modéré (HLM), laissant par parenthèse à penser qu'à côté des HLM il n'y avait que des loyers surévalués, voire exorbitants (ce qui deviendrait d'ailleurs de plus en plus souvent le cas dans les décennies qui suivraient! ...).

 

Alors empressons-nous d'enterrer les LBM.

 

Le livre de poche bon marché, L'avenir est à vous, 21 9 1964, 1 minute 20

 

 

Petit classique Larousse "Le soulier de satin"

Paradoxalement en revanche, l'appellation livre de poche aurait pu être adoptée en toute légitimité pour des collections apparues dans les deux décennies qui avaient précédé:

  • les «petits classiques Larousse» créés en 1933,

  • les «que sais-je?» des Presses Universitaires de France» créés en 1941,

ouvrages d'un format voisin des livres de poche mais d'une épaisseur ne dépassant pas quelques millimètres.

 

Vrai et faux livres de poche
Vrai et faux livres de poche

Pas original et mal dénommé, le livre de poche avait néanmoins en dix ans obtenu un succès que les tentatives précédentes n'avaient pas connu. A quoi cela était-il dû?

Distributeur de livres

Une première raison peut tenir à la formule originale d'édition et de diffusion associant d'emblée autour de Hachette plusieurs grands éditeurs nationaux. Cela permettait de disposer d'une force commerciale immédiatement mobilisable et d'un catalogue conséquent en reprenant des titres déjà distribués.

 

Les libraires, dans un premier temps réticents à accepter des marges faibles, furent assurés que l'accroissement des volumes escomptés compenserait le manque à gagner à l'unité.

 

Cependant, le livre de poche, devenu un produit de grande consommation, échappa en partie au marché des libraires, allant même jusqu'à être distribué dans des armoires sur les lieux publics, pareillement à des boissons gazeuses et à des friandises.

 

 Si la croissance du marché confirmait dix ans après sa création que la formule répondait bien à un besoin, certains faisaient la fine bouche en regrettant une malencontreuse démocratisation de la culture. Ainsi de ce carabin carabiné - dont l'INA conserve la trace - déclarant sur un ton suffisant que «cela fait lire un tas de gens qui n'avaient pas besoin de lire». On notera au passage que la même prévention se manifestait alors à l'égard de la télévision: des précieux ridicules déclaraient préférer lire … mais à condition que ce ne soient pas des livres de poche.

Des livres pour "des gens qui n'ont pas besoin de lire", L'avenir est à vous, 21 9 1964, 43 secondes

 

Dans le même temps cependant, un auteur d’œuvres d'accès facile sans toutefois céder à la facilité, Marcel Pagnol, se réjouissait de l'audience accrue de ses confrères, contemporains ou non : grâce au livre de poche, le Grand Meaulnes avait été vendu à plus de trois millions d'exemplaires...  "

Marcel Pagnol à propos du livre de poche, ORTF, Pour le plaisir, 2 12 1964, 1 minute 30

 

Le livre de poche en bonne place à la fête du livre au plateau Baubourg (photo La Parisienne de Photographie)
Le livre de poche en bonne place à la fête du livre au plateau Baubourg (photo La Parisienne de Photographie)

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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