Livre

1970 La fin des ouvre-livres

Livres à découper de Pierre Loti

 

"  Les chiffres ne doivent pas toujours être pris au pied de la lettre. Ainsi en est-il de mon choix d'avoir retenu 1970 pour cette étape, choix qui doit être interprété comme celui du tournant des années 60 et des années 70.

 

De même, le mot «fin» marque la fin d'une pratique bien ancrée en passe de devenir marginale: celle des livres non rognés, des livres qu'il faut ouvrir toutes les deux pages pour en découvrir le contenu.

 

Les livres de poche avec leurs pages encollées sur une reliure souple avaient libéré les lecteurs de ce pensum des livres brochés plus onéreux.

 

Livres non rognés et coupe-papier, Bibliomab, 9 6 2010, texte et illustrations

 

Comme pour extraire la nourriture contenue dans les boîtes de conserve d'alors, il fallait se munir d'un outil, un ouvre-boîtes. Pour accéder a la nourriture de l'esprit, il s'agissait en l'occurrence d'un coupe-papier.

 

Les boîtes de conserves que je connais (en 2019) ont toutes adopté un mode d'ouverture sans outil mais cette évolution ne semble pas être générale puisque les sites de vente proposent encore différentes versions d'ouvre-boîtes, exclusivement manuelles ou assistées par un moteur électrique.

3 ouvre-boîtes à titre d'illustration
Coupe-papier Toledo en forme d'épée

 

La persistance d'une offre de coupe-papier s'explique mieux par une vocation non limitée à l'ouverture de livres.

 

Alors que l'ouvre-boîte n'a, à ma connaissance, jamais eu de prétention autre qu'utilitaire, le coupe-papier a souvent été considéré comme un objet de luxe à l'aspect soigné, adoptant fréquemment la forme d'une épée en miniature. Peut-être cela tient-il à sa proximité avec le livre, produit de luxe détenu par des bourgeois qui disposaient encore de «bonnes à tout faire» dont les couteaux de cuisine auraient fait tout aussi bien l'affaire.

 

Pages maladroitement coupées

 

Mais, élégant coupe-papier ou banal couteau de cuisine, le résultat se traduisait souvent pour les personnes malhabiles comme moi par une coupe irrégulière et un effilochage guère esthétique. Peut-être aussi manquais-je de pratique car mes moyens financiers m'avaient cantonné aux livres de poche jusqu'au début des années 70.

 

Mes médiocres résultats tenaient aussi à mon manque de motivation pour cet exercice fastidieux dans lequel j'étais loin de trouver comme Italo Calvino «des plaisirs tactiles, acoustiques, visuels et plus encore mentaux».

 

Bouquinistes en bord de Seine

Bien des livres d'occasion non rognés que je feuilletais durant les années 60 dans les bacs des bouquinistes du quai Saint Michel ou sur l'étal de la librairie Joseph Gibert sur le boulevard du même Saint avaient conservé leur virginité passées les premières pages. La constatation que fort peu de lecteurs dans les transports en commun ont dépassé ces premières pages m'incite à penser que le caractère ingrat de ce bris de clôture n'était pas la seule raison d'un manque de persévérance ...

 

Boîtes de ravioiIs Buitoni "l'important , c'est ..."

 

Si je demeure insensible aux supposés plaisirs d'antan associés aux travaux de découpage, je ne suis pas indifférent aux beaux livres et aux riches reliures mais, pour paraphraser un message publicitaire pour des pâtes italiennes, je considère que «l'important est ce qu'il y a dans la boîte». Faire du livre un signe extérieur de richesse, c'est ne pas les aimer pour leur destination première: la lecture.

 

Paravent tapissé de fausses reliures

 

Dans ce domaine, le comble de l'égarement et du mauvais goût est atteint par ce que j'ai découvert sur internet: la vente de paravents recouverts de tranches de fastueuses (ou supposées telles) reliures.

 

Ex libris exposé au musée  Despiau-Wlérick à Mont-de-Marsan
Ex libris exposé au musée Despiau-Wlérick à Mont-de-Marsan

Objet précieux au moins autant qu'objet de culture, le livre a été longtemps (semble t'il jusqu'aux années 1920) marqué du sceau de son propriétaire (la marque d'un tampon ou bien un motif graphique): un ex-libris. C'était en quelque sorte l'antivol du livre à la manière des vitres gravées de nos voitures. Aujourd'hui, en fonction de la notoriété des propriétaires à l'origine, certains ex- libris atteignent une valeur bien supérieure à la seule valeur des «beaux livres» sur lesquels ils ont été apposés.

 

Atelier pour fabriquer son propre ex-libris, journées du patrimoine 2018, Le Parisien, 15 9 2018, texte et illustrations

Chronique publiée en juin 2019  (le livre au 20ème siècle)

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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