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2017 Des temps encore modernes ?

"  En 2017, il subsiste encore des ateliers automobiles dépourvus de chaînes mais il s'agit alors d'assembler des voitures aux prix faramineux et aux puissances inconséquentes (sans rapport aucun avec ce que la loi et l'entendement commandent).

Pour ces signes extérieurs d'une richesse insolente, l'employeur peut consentir des salaires élevés (?) à des ouvriers hautement qualifiés et leur laisser le degré d'autonomie que confère un travail artisanal.

Cela ne concerne à l'évidence qu'une infime partie de la production.

Cependant, depuis 1967, plusieurs facteurs ont contribué à rechercher une minimisation des travaux répétitifs:

  •  dès la fin des années soixante, à l'initiative du Eiji Toyoda dirigeant de la firme Toyota, un enrichissement et un élargissement des tâches est apparu profitable à une meilleurs motivation des ouvriers et à une amélioration de la qualité des produits finis. On a parlé de Toyotisme comme l'on avait parlé du Fordisme une soixantaine d'années auparavant.
  •  L'ergonomie a permis de dépasser la vision mécaniste du travail humain, la sociologie de montrer les dérives d'opérations décomposées à l'extrême («le travail en miettes» selon Georges Friedmann).
  • L'exigence des acteurs eux-mêmes est devenue plus forte et leur insatisfaction s'est traduite par des incidences économiques que les employeurs ont dû prendre en compte (absentéisme, grèves, «turnover» …).

  • Les avancées en matière de protection et notamment cette année la mise en place du compte pénibilité dans le cadre du compte personnel d'activité ont sans doute également incité à limiter les travaux répétitifs, l'un des critères de pénibilité retenus dans le décompte.

 

Une autre manière de se dispenser autant que possible des travaux répétitifs et cadencés voire minutés consiste à robotiser ces opérations. On peut observer le recours croissant à cette formule en comparant une vidéo de l'usine KIA implantée en Slovaquie en 2015 aux images des ateliers Peugeot et Renault des années cinquante, soixante et soixante-dix précédemment mentionnées.

La mondialisation qui a conduit à la délocalisation d'un grand nombre d'activités industrielles dans des pays moins exigeants en matière de conditions de travail et moins-disants en matière de rémunérations a cependant limité cette tendance à décharger le travail humain d'activités automatisables. Ainsi, les usines roumaines et marocaines de Dacia sont-elles bien moins automatisées que ne le sont les usines Renault qui demeurent en France.

Chaîne d'abattage de poulets

Ce même phénomène s'observe à plus grande échelle encore et avec une plus forte âpreté dans des pays comme la Chine.

 

Cependant, il serait erroné de penser que chaînes et travaux répétitifs ont partout disparu en France.

Une première preuve nous est donnée par les chaînes d'abattage de volailles, volailles dont les dépouilles suspendues à un convoyeur aérien sont «conditionnées» par des employés auxquels sont dévolues des tâches ultra-répétitives et limitées.

Une autre illustration d'une chaîne assez proche de celle qui emporte Charlot dans «les temps modernes» en 1936: celle du tapis roulant sur lequel défilent à une allure soutenue les déchets qui ont échappé à un traitement automatique. Les employés aux aguets doivent identifier les intrus à extraire de ce flux incessant avant qu'ils ne poursuivent leur parcours.

 

 

A des gestes peu différents les uns des autres s'ajoute une charge mentale forte, non pas du fait de la complexité du choix mais du nombre d'informations à traiter par unité de temps.

 

Moi dans un landau au milieu de la basse-cour dans l'Orne

 

Dans ces deux cas, à défaut de pouvoir robotiser (pour des raisons techniques ou économiques, je l'ignore), on ne peut que constater l'efficacité du processus comparé au zigouillage à l'unité de la volaille dans la basse-cour Ornaise de mon enfance ou à la recherche par des pauvres hères de minables pépites dans des décharges.

On pourrait citer bien d'autres exemples candidats à la robotisation dans lesquels l'efficacité est obtenue au détriment de l'intérêt du travail comme celui de Amazon ou l'employé devient en quelque sorte sa propre chaîne en véhiculant sans fin son chariot et en le remplissant selon un parcours imposé.

Le secteur tertiaire n'est pas non plus exempt de travaux répétitifs, inintéressants et monotones. Que l'on songe par exemple aux centres d'appels.

 

 

 

Dans une optique de résorption du chômage, la conservation de tels emplois doit-elle constituer un objectif?

Pour ce faire, convient-il dans une économie mondialisée de taxer nos robots comme d'aucuns brisaient hier les métiers à tisser de Joseph-Marie Jacquard?

Et, si cela ne suffit pas, faut-il se résigner à attribuer sans contrepartie des allocations de piètre subsistance en échange d'une oisiveté contrainte, asociale et humainement humiliante?

Ne peut-on imaginer et s'atteler à construire un futur plus désirable – plus ambitieux et plus raisonnable – offrant à chacun, selon ses capacités, un labeur utile à la société et qui ne soit pas pour autant déshumanisé ?

 

A chacun d'en juger.  "

 

Chronique publiée en mars 2017

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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