Règle à calcul

1963 Opérations en coulisse

"Il est possible de donner à ce titre «opérations en coulisse» deux interprétations, valides l'une comme l'autre:

  • la première a trait au principe-même de la règle à calcul, principe basé sur le coulissage d'une réglette et d'un curseur sur une base fixe afin d'obtenir le résultat d'opérations (de calculs),
  • la seconde évoque les opérations (les actions entreprises) en coulisse par des électroniciens pour être en mesure à terme de capter le marché des fabricants de règles à calcul.
Première machine à calculer électronique Anita VII en 1961
Première machine à calculer électronique Anita VII en 1961

Depuis 1961 en effet, aux calculatrices mécaniques se sont ajoutées des machines ayant recours à l'électronique. Les unes comme les autres se présentent sous la forme de machines de bureau encombrantes, lourdes et par conséquent difficilement transportables. Cependant, la miniaturisation de l'électronique progresse rapidement, ce qui, en 1963, n'inquiète pas l'auteur de «La règle à calcul»: «La règle à calcul a conquis une place de première importance dans la vie de l'homme moderne, place qu'elle gardera encore longtemps, malgré l'apparition des machines à calculer électroniques».

Selon lui, «La règle à calcul est certainement un merveilleux instrument pour tous ceux qui, dans leur travail ou leurs occupations, sont obligés de recourir aux calculs simples et complexes. C'est donc l'outil indispensable de l'ingénieur comme du négociant, du géomètre comme du comptable».

Encart publicitaire Graphoplex

Même si l'on s'attend plus à voir une règle à calcul manipulée par un élève ou un ingénieur que par un représentant de commerce ou un commis voyageur, sans doute l'auteur ne se fourvoie t'il pas complètement en affirmant que l'ustensile a aussi sa place hors des salles de classes et des bureaux d'études. Sinon, pourquoi la société Graphoplex, dans un encart publicitaire figurant en tête de l'ouvrage, proposerait-elle d'utiliser cet «instrument technique d'usage permanent» comme un moyen de «propagande» en gravant le nom de l'entreprise cliente à côté des sa propre signature, signe et gage, selon elle, d'une «haute qualité technique»?

Est-ce à cause de cette «utilisation permanente» et en toutes circonstances que, dans le même encart, Graphoplex ajoute aux qualités légitimement escomptables d'un tel outil (précis, invariable, lisible, incassable) une propriété infiniment plus surprenante: incombustible. Au reste, cette affirmation, dont on peine à discerner en quoi elle pourrait être déterminante dans la décision d'achat, est sérieusement tempérée par les «précautions d'usage» énoncées dans le petit dépliant joint à la règle dans son étui par le même Graphoplex :

  • «évitez de laisser séjourner longtemps au soleil»,
  • «évitez les contacts avec des engins ayant une température ambiante supérieure à 55°»,
  • «ne laissez jamais une règle à calcul près d'appareils susceptibles d'élever sa température à plus de 60°».

Pourquoi diable cette incombustibilité - assurément très relative - a-telle était mise en exergue plutôt que l'incontestable avantage de la règle à calcul: sa portabilité?

Il y avait pourtant matière à une argumentation publicitaire sur le mode : «légère dans son élégant étui en simili-cuir, la Graphoplex prend aisément place dans votre porte-documents et, ne nécessitant aucune énergie, peut être indéfiniment utilisée en tous lieux».

Avec une vision moins partisane, on relèvera toutefois quelques sérieuses limites du «merveilleux instrument»:

  • même en étant doté d'une bonne acuité visuelle et malgré l'effet-loupe fourni par le curseur mobile, la lecture ne peut fournir que des valeurs approximatives certes suffisantes pour le technicien ou l'étudiant mais incompatibles avec l'exigence de précision absolue du comptable,
  • la place de la virgule reste à l'appréciation du lecteur, ce qui peut être à l'origine d'erreurs majeures quand le jugement n'est pas facile à porter (ce qui est le cas pour les calculs complexes candidats privilégiés à l'usage de la règle à calcul),
  • enfin et surtout, l'utilisation de la règle à calcul nécessite un apprentissage non négligeable et qui s'oublie avec le temps, je peux en témoigner.

Du reste, Graphoplex ne se nourrit pas d'illusions à ce sujet puisque, dans le dépliant explicatif fourni avec la règle, il précise: «Il n'est pas possible, dans une instruction abrégée, de développer la théorie complète des possibilités de la règle à calculs»(calculs avec un s que l'on retrouve dans le titre de l'ouvrage de monsieur Robichon que Graphoplex conseille de se procurer).

Le besoin de se référer à un ouvrage est si patent que de nombreuses publications ont été proposées depuis le 19ème siècle, des livres qui permettent de comprendre non pas les arcanes mathématiques des calculs mais, beaucoup plus modestement, de choisir les positions adéquates de la tablette et du curseur coulissants pour parvenir aux résultats escomptés.

En dépit de cette ambition limitée, il ne faut pas moins de 212 pages à Raymond Dudin pour exposer une méthode qu'il qualifie de «rationnelle» et «d'une application facile», les trois premières pages étant consacrées aux symboles et notations abrégées qu'il convient de mémoriser avant d'entrer dans le vif du sujet.

Calculette Sanyo
Calculette Sanyo

Règles à calcul et méthodes pour s'en servir feront florès jusqu'aux années soixante-dix quand la concurrence des calculettes de poche deviendra sérieuse du fait à la fois de la baisse des prix et de l'extension des fonctions offertes.

Les avantages de ces nouvelles venues feront tomber dans l'oubli la règle à calcul et les compétences associées à ses manipulations:

  • un résultat fourni instantanément avec un luxe de décimales et une virgule placée au bon endroit,
  • un format de poche se substituant à un «format de serviette».

Aussi n'est-il pas étonnant que l'ouvrage de Raymond Dudin, que j'ai exhumé des réserves de la médiathèque locale, aie connu son précédent emprunteur la 20 avril 1980.

Le coup de grâce sera asséné par la circulaire du 28 juillet 1986 autorisant l'utilisation des calculettes pendant les épreuves des examens.

Il se sera tout de même écoulé quinze ans entre la mise sur le marché, par Texas Instruments, et cette décision, un délai exactement identique à celui qui avait été nécessaire pour admettre en 1965 que le «bic cristal» (et tous les stylos à bille qui l'avaient rejoint) aie droit de cité dans les établissements scolaires et…déprécie les connaissances que m'avait enseignées ma maîtresse de petite classe (on dirait aujourd'hui «professeur des écoles chargée du cours préparatoire») pour placer aux endroits appropriés les pleins et les déliés."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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