Sanatorium

1960 Dernier cri

Sanatorium Rhone Azur

"  Le 16 mars 1960, les Actualités Françaises diffusées dans les cinémas à l'entracte présentent «le dernier cri en matière de sanatorium». Il s'agit en l’occurrence de l'inauguration d'un établissement construit à Briançon. Il porte le nom de «Rhone-Azur» car il a été financé par les caisses primaires de Lyon et de Marseille et n'est accessible qu'aux cotisants relevant de ces caisses.

D’autres établissements ont été créés spécifiquement par des confessions religieuses, par des entreprises (la SNCF par exemple), par des collectivités (des communes, l'armée ...).

 

Le projet date de 1947, dans une période où l'on pouvait encore douter de la capacité de guérison des antibiotiques. La construction de cet établissement de grande envergure (352 lits) s'est déroulée durant toutes les années cinquante, une durée anormalement longue dont je n'ai pu élucider les raisons. Peut-être un doute croissant sur le bien-fondé de cet investissement et la poursuite malgré tout comme cela allait se passer un peu plus tard pour les abattoirs centralisés de La Villette?

 

Sur le plan architectural, il s'agit d'une réalisation emblématique du «mouvement moderne» de structure en béton armé à l'image des nombreux établissements érigés ...dans les années vingt et trente.

Selon mes investigations, ce «dernier cri» n'est pas l'ultime, lequel serait le sanatorium d'Ossega dans les Pyrénées Orientales inauguré en 1962 … et qui restera vide sept ans avant d'être reconverti.

 

En 1960, je ne suis encore jamais allé à la montagne mais ces bâtiments massifs et ces paysages me sont néanmoins familiers par les photographies et les cartes postales que ma mère conserve. Une de ses sœurs a en effet été affectée avant la trentaine par un mal de Pott, une tuberculose ostéo-articulaire. Durant la guerre, elle a d'abord été hospitalisée à Versailles puis a entrepris un tour de France en commençant par le sanatorium Régina à Hauteville-Lompnes dans l'Ain, puis aux Escaldes dans les Pyrénées Orientales pour terminer à l'Institut d'éducation motrice de Berck dans le Nord.

Lits sur roulettes dans la neige

Plusieurs années de périples thérapeutiques, plusieurs années de stations allongées comme le montrent les photos de famille. Sur l'une d'entre elles, les lits montés sur roulettes ont été installés à l'extérieur dans la neige.

Au terme de ce traitement, l'histoire se termine bien et cette tante mènera une vie très active et fort longue.

 

Pour l'une de ces trois sœurs, l'aînée, la tuberculose a été plus expéditive: Marie-Jeanne a été emportée à vingt ans au début des années trente. Aux dires de ma mère, le médecin de famille s'est montré hautement désinvolte, déclarant forfait rapidement et l'annonçant sans précaution aux proches. Il est cependant probable que son diagnostic était simplement réaliste (un cas de «phtisie galopante»?). Et les sanatoriums n'accueillaient que des malades modérément atteints sur lesquels ils pouvaient tenter des remèdes parfois audacieux.

En lisant l'ouvrage de Thomas Mann consacré à un séjour dans un sanatorium de Davos (haut-lieu hygiénique avant de devenir un centre de rencontres pour décideurs), la montagne magique, j'ai rencontré un mot sorti de ma mémoire depuis bien longtemps et qui avait cours alors: pneumothorax.

Ce mot évoquait un traumatisme brutal comme celui de l'électrochoc que l'on faisait subir aux fous, un mot que les adultes prononçaient avec des accents d'effroi. Il m'était connu mais son sens m'échappait alors. Sur les sites médicaux d'internet, j'ai appris qu'il s'agissait en l’occurrence d'un pneumothorax thérapeutique, c'est-à-dire créé chirurgicalement pour cicatriser les lésions occasionnées par une tuberculose pulmonaire. On y précisait que cette opération était pratiquée «avant l'arrivée des antibiotiques» c’est-à-dire normalement au plus tard à la fin des années quarante. Or, en compulsant l'édition de 1959 du Petit Larousse, le pneumothorax était toujours d'actualité et défini comme une «méthode de traitement de la tuberculose pulmonaire par introduction d'azote dans la cavité pleurale». Une illustration parmi d'autres que les antibiotiques ont durablement coexisté avec les «traitements» antérieurs.

 

Jusqu'au début des années soixante, la tuberculose demeurait une préoccupation forte. Ainsi, en 1963, le magazine télévisé «5 colonnes à la une» titrerait un reportage «encore 10000 morts par an» (en France). 

Timbre anti-tuberculeux

Cependant, au-delà des informations véhiculées par les médias et des conversations des adultes, la tuberculose aura accompagné mon enfance avec des réalités très tangibles. La vente des timbres antituberculeux était de mise chaque année à l'école communale: l'instituteur distribuait à chacun de ses élèves un carnet de ces timbres («la science vaincra»), à charge pour eux de les vendre à leur entourage et de revenir avec les fonds nécessaires à endiguer la maladie.

Affiche "cracher à terre est un danger pour les vôtres et pour autrui"

L'hygiène constituait un thème privilégié des affiches (ne pas cracher par terre), des bons points que l'instituteur distribuait (se laver les mains, les dents, les cheveux et le reste) et même un argument commercial (le lait Nestlé anti-tuberculeux). La prévention se manifestait par le dépistage annuel qui s'opérait dans un camion disposant de l'équipement radiologique qui stationnait devant l'école sur le large trottoir du boulevard Saint-Marcel (pas encore transformé en contre-allées desservant des parkings).

Publicité pour le lait concentré sucré et la farine lactée Nestlé pour éviter la tuberculose

Le tout était couronné par les épreuves guère plaisantes du vaccin BCG dont l’innocuité faisait l'objet de débats et par les cuti-réactions (scarifications en haut des avant-bras) dont on guettait la couleur.  "

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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