Scooter

1954 La jupe s'envole

Pub Vespa avec pin-up 1955

"Le CNTRL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) donne du scooter la définition suivante: «Véhicule à moteur à deux roues muni d'une jupe à cadre ouvert protégeant le conducteur».

 

On sait depuis quelques années que le nombre de roues ne constitue pas une caractéristique déterminante. Reste la jupe.

 

Or, en 1954, les scooters et leurs jupes voient en France leurs ventes s'envoler.

 

En 1951, 14320 scooters avaient été commercialisés, ce qui représentait moins de 3% de l'ensemble des ventes de motocycles. En 1954, le seuil des 100 000 unités est franchi (soit une multiplication par 7) et la part des scooters dans l'ensemble des motocycles, dont la production a doublé dans le même temps, dépasse désormais 10% .

 

Scooter "auto-fauteuil" Gauthier, années 1900
Scooter "auto-fauteuil" Gauthier, années 1900

Contrairement à ce que beaucoup doivent penser (c'était mon cas avant de me documenter), le scooter n'est pas un produit de l'après-guerre. Le premier scooter Français – peut-être même mondial - serait l’œuvre du Blésois Gauthier. Il a été produit de 1902 à 1920 sous la cocasse appellation «auto-fauteuil». D'autres modèles ont été diffusés entre les deux guerres mondiales et des scooters ont fait partie des équipements militaires de la seconde.

En 1954, la Vespa, de conception Italienne mais fabriquée sous licence en France à Fourchambault par ACMA (Ateliers de Construction de Motocycles et Accessoires), représentait une bonne moitié des ventes de scooters. Elle devançait la Lambretta, autre marque Italienne fabriquée en France sous licence, qui assurait environ un tiers des ventes.

Scooter Peugeot

D'autres constructeurs français se partageaient la portion congrue restante:

  • Peugeot dont la famille connue pour ses voitures mais aussi alors pour ses moulins à café s'essayait dans ses usines de l'Est à la production de scooters (3104 en 1954);
Scooter Motobécane

 

  • Motobécane à Saint-Quentin produisait des scooters depuis 1951 (2673 en 1954);
Scooter Terrot

 

 

  • Terrot, construisait des scooters à Dijon depuis 1952;

 

Scooter Bernardet
  • Bernardet, constructeur de side-cars de 1932 à 1946, s'était lancé sur le marché du scooter dès 1947 (usine à Chatillon-sous-Bagneux). Son modèle Y52 figurait au catalogue de la Manufacture des Armes et Cycles de Saint-Étienne sous la marque Hirondelle de cette manufacture florissante à l'époque. Malgré la mention au fameux catalogue, la présence dans l'encart publicitaire de la manufacture dans sa revue Le Chasseur Français (je me le rappelle car mon père était abonné) ainsi que l'implantation de magasins dans les grandes villes Françaises, la prééminence des marques d'origine Italienne n'a pas été inquiétée;
Scooter Manhurin
  • enfin, Manhurin (Manufacture de machines du Haut Rhin), entreprise centrée sur la fabrication de munitions, se préparait à commercialiser un modèle dérivé du Hobby de l'Allemand DKW.

 

Je me suis interrogé sur les raisons de l'insolent succès de la Vespa, et à un degré moindre de la Lambretta, en regard de la médiocrité persistante des scores des autres marques que je viens d'énumérer.

Il ne me semble pas qu'il soit dû à leurs caractéristiques techniques assez similaires (toutes à moteur deux temps de puissances voisines) mais bien plutôt à l'esthétique des modèles.

S'inspirant de concepts de l'aéronautique, la Vespa est une machine élégante, élancée et gracieuse. La Lambretta est moins svelte, moins aérienne mais pas laide pour autant.

Nez du scooter Terrot

 

En revanche, les constructeurs purement nationaux semblent s'être souciés de l'aspect de leurs produits comme d'une guigne.

 

La partie avant est souvent disgracieuse voire repoussante, au point que l'on évoque un nez de cochon au sujet de la Terrot.

Scooter Bernardet avec homme au chapeau

 

Quant à la partie arrière, le carter massif qui la recouvre percé de trous pour faire respirer la mécanique a tout l'air d'un calorifère.

 

Se balader juché sur un calorifère en arborant un nez de cochon …

Automotoscooter

Cependant, au concours des mochetés, j'attribuerai la palme à l'«automotoscooter», production Allemande Maico Mobil, précédemment spécialisé dans la construction de matériel militaire, «automotoscooter» dont la proue semble le destiner à un manège d'auto-tamponneuses.

 

Audrey Hepburn en amazone sur une Vespa
Audrey Hepburn en amazone sur une Vespa

La présence de la Vespa dans des films Italiens, dont «Vacances Romaines» sorti en 1953, peut aussi avoir contribué à sa popularité. L'effort publicitaire appuyé associant la Vespa à des photos et croquis de femmes jeunes et aguichantes a sans doute eu quelque effet.

 

 

L'influence de l'apparition de la Vespa dans des bandes dessinées pour enfants (notamment Tintin et l'immémoré Bibi Fricotin) est à l'évidence moins patente (effet-retard possible dans une dizaine d'années …).

Si, au-delà de la Vespa, on s'intéresse à l'envolée des ventes de scooters en France, on peut,sans trop de risque de se tromper, estimer qu'elle est due à l'amélioration du niveau de vie, laquelle ne permet pas encore d'acquérir une automobile mais plutôt un motocycle carrossé à la façon d'une automobile.

Dans un film tourné en 1953 consacré au redémarrage de l'économie en Italie, on peut entendre ce commentaire: «les gens de condition modeste ont (dans le contexte, il faut comprendre «ont maintenant») les moyens d'acquérir un scooter».

La poursuite de l'accroissement du niveau de vie dans les pays Européens (de l'Ouest) et singulièrement en France ouvrira bientôt à une population plus large la possibilité d'acquérir une voiture. Cette tendance sera à l'origine de la chute vertigineuse des ventes de scooters et de la stagnation de celle des motocycles en général."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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