Station-service

1956 Grande pompe

"1956 est au cœur d’une période durant laquelle le parc automobile français connait un taux d’accroissement considérable puisqu’il passe de 2,3 millions à 6,24 millions en une décennie. Cette croissance se ralentira ensuite progressivement, le parc culminant pratiquement aujourd’hui à 38 millions d’unités avec un taux de croissance inférieur à 1% durant ces dernières années.

Pour assurer leur place dans ce marché en forte croissance, les compagnies pétrolières rivalisent d’efforts publicitaires et favorisent la création de nouveaux points de distribution que l’on ne désigne plus sous le nom de station d’essence mais de station-service pour marquer leur vocation élargie à un service rendu à l’automobiliste (beaucoup plus tard, en 1991, Total illustrerait cette aspiration avec le fameux slogan « vous ne viendrez plus chez nous par hasard »)."

 

Pompe manuelle à Orgon dans les années 50 ainsi que les 4CV  en attestent
Pompe manuelle à Orgon dans les années 50 ainsi que les 4CV en attestent

"La pompe à essence d’avant la guerre justifiait pleinement le titre de pompiste donné à celui ou à celle en charge de la mettre en œuvre. Il devait effectuer un mouvement de balancier avec le bras sur un manchon pour faire s’élever le carburant dans un cylindre transparent, lequel carburant redescendait ensuite par gravité dans le réservoir de l’automobile. Compte tenu du volume limité du cylindre, l’opération devait être répétée autant de fois que nécessaire.

 

Des pompes de ce type, il en restait encore beaucoup en 1956, particulièrement dans les zones rurales. A Evrecy, village proche de Caen en grande partie détruit par les bombardements de la Libération et dont la reconstruction n’était pas encore achevée, le garage, qui avait été celui de mon grand-père maternel avant la guerre, demeurait dans l’attente d’un équipement moderne et utilisait encore l’unique pompe à essence sur les ruines de l’ancien bâtiment".

Femme utilisant une pompe à essence manuelle
Mélangeur SATAM
Mélangeur SATAM

"Deux ou trois années plus tard, le nouveau garage prendrait des allures de petite station-service avec sa mini-piste de dégagement, son enseigne métallique de la marque du carburant suspendue au sommet d’un grand pylône et ses deux pompes, l’une rouge et blanche pour l’essence que l’on qualifiait désormais d’ordinaire et l’autre bleue et blanche pour le super que l’on appelait aussi extra. Pour le gas-oil, il fallait aller chercher ailleurs : les voitures d’ici n’en avaient pas besoin et bon nombre d’engins agricoles et de camions fonctionnaient à l’essence.

Ces pompes-là ne justifiaient plus vraiment l’appellation de pompiste, leur manipulation s’apparentant plutôt au labeur du jardinier faisant usage d’un tuyau d’arrosage. Cependant, une autre pompe manuelle allait subsister encore bien des années : celle du mélange huile-essence destiné aux vélomoteurs. Par sa dimension et son esthétique elle ressemblait beaucoup à ses sœurs à deux exceptions près : elle restait dotée d’un manchon à bascule et, montée sur de petites roulettes, elle ne sortait qu’aux heures d’ouverture du garage."

"Mobylette" Motobécane de 1957
"Mobylette" Motobécane de 1957

"...le vélomoteur connaissait en province sa grande époque. Il constituait souvent une première étape vers la motorisation pour les moins argentés qui ne pouvaient pas encore acquérir une automobile. A Caen et dans sa banlieue, les entreprises industrielles ne manquaient pas et elles utilisaient une main d’œuvre abondante, souvent peu qualifiée et issue du monde rural : La Société Métallurgique de Normandie que l’on ne connaissait alors que comme les Hauts-Fourneaux (6000 salariés), la SAVIEM (camions), la Radiotechnique (transistors) … "

"Ce petit garage rural qui se donnait des allures de station-service à l’américaine était loin d’atteindre la magnificence des établissements qui s’ouvraient le long des axes à fort trafic (les routes nationales essentiellement puisqu’il n’y avait quasiment pas d’autoroutes). Dans ces stations-service, on se déroutait carrément sur une aire au service de l’automobiliste. Le pompiste revêtu de l’uniforme de la compagnie pétrolière (casquette à visière souvent comprise) se jetait sur le pare-brise armé d’un petit sceau d’eau savonneuse et d’une raclette dès que le véhicule était immobilisé. Cette opération n’avait rien de superflu car la 4CV parentale, comme la plupart des véhicules, même de plus haut standing, n’était pas dotée d’un lave-glace .

Il n’était pas ici question pour le conducteur de se saisir de la pompe. L’opération de remplissage du réservoir requerrait du reste le doigté d’un professionnel attentif car le tuyau de remplissage du réservoir de la 4CV était dissimulé sous le petit capot arrière perforé d’ouvertures pour favoriser le rafraichissement d’un moteur qui en avait souvent bien besoin. Quelques secondes de distraction et ce pouvait être la catastrophe.

Carte routière ESSO de la France

L’opération menée à bien, le pompiste proposait de « refaire les niveaux » selon une expression retrouvée dans un ouvrage consacré aux garages d’hier . Et ce n’était pas forcément du luxe car si la 4CV n’était pas trop avide d’huile, l’évaporation de l’eau qui servait à son refroidissement répondait à des lois non clairement élucidées."

...

"Pour l’enfant que j’étais, les cadeaux qui accompagnaient le cérémonial constituaient l’attraction principale. Il s’agissait pour les adultes de cartes routières (avec bien entendu la position des autres stations-service de la compagnie) et autres colifichets.

Planche cartonnée à découper et à monter

Pour les enfants, l’éventail allait de petits objets comme ceux que l’on trouvait dans les paquets de lessive et de café à des planches cartonnées de grand format destinées à être découpées puis assemblées pour constituer des maisons, … des stations-service notamment.

La publicité, qui visait donc aussi les enfants (nombreux du fait du baby-boom), magnifiait ces refuges accueillants pour des automobilistes à la découverte des routes de France (deux-tiers d’entre eux conduisaient leur première voiture)."

File de voitures devant une station-service
Pénurie en novembre 1956

"La vie de l’automobiliste s’annonçait donc sous les meilleurs auspices quand le drame arriva. La nationalisation du canal de Suez par l’Egypte et le conflit armé qui s’ensuivit coupèrent brutalement en novembre les approvisionnements en carburants. Un dimanche, il nous fallut parcourir des kilomètres en banlieue parisienne pour finir par dégoter une station-service qui ne soit pas déjà à sec. Dans un premier temps, le trafic et la débrouille régnèrent ..."

Tickets de rationnement du carburant

"A la fin du mois de novembre, le pays s’installa dans la pénurie. Des tickets de rationnement furent édités. Mes parents n’en avaient plus vu depuis sept ans et moi, bien sûr, je n’en avais pas conservé le souvenir. Si le conflit armé avec l’Egypte tourna court assez vite, la période des tickets s’étendit jusqu’en juillet 1957.

 

Entre-temps, les stations-service avaient un peu perdu de leur lustre."

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien