Télévision

1955 Plat unique

"Dans les années cinquante, nombreux sont ceux qui refusent de voir jamais un téléviseur pénétrer dans l’intimité de leur foyer.

Ils considèrent en effet que celui-ci ne peut que propager des maux plus ou moins funestes : apporter des distractions vulgaires, nuire à d’autres occupations plus nobles, la lecture notamment, substituer aux échanges interpersonnels une dépendance béate à un meuble de salon et nuire à la bonne éducation des têtes blondes.

Au prix auxquels se négocient les récepteurs, il entre dans ce rejet sans doute aussi beaucoup de la morale de la fable de Jean de La Fontaine, Le Renard et les Raisins : « ils sont trop verts et bons pour des goujats » .

Néanmoins, cette proscription n’est pas adoptée par tous et déjà, même, des intellectuels en font fi. Ainsi en est-il de la veuve d’un professeur à la Sorbonne. Il m’arrive d’être convié pour jouer avec une de ses petites filles qui est un peu plus jeune que moi et c’est ainsi que je peux assister à des bribes de spectacles de variétés durant lesquels les chanteurs utilisent une gestuelle très explicite au secours de fortes paroles.

Henri Genès  et son facteur de Santa Cruz

Ainsi de Henri Genès et de son facteur de Santa Cruz qui, « affalé sur son cheval ressemble à « ouna médouse » sous le soleil tropical » et des mains de Gilbert Bécaud qui « caressent dans leurs doigts des riens venant de toi cherchant un peu de joie».

On est tout de même assez loin de textes susceptibles d’avoir un jour les honneurs de la Sorbonne … C’est là une spécificité de la télévision de cette époque : quarante heures d’émissions hebdomadaires distillées par une chaîne unique conduisent les téléspectateurs les plus divers à « consommer » des émissions qu’un choix plus vaste les conduirait vraisemblablement à dédaigner."

 

Château de Goussonville -clinique

"Cette même année 1955, il m’est donné de voir la télévision dans un tout autre cadre."

...

"Bien que proche de Paris, Goussonville est à cette époque un hameau à dominante agricole qui m’évoque plus Le Locheur (cf. Ruralité) que la commune périurbaine qu’elle semble être devenue aujourd’hui : il y a quelques maisons rassemblées autour des deux lieux de rencontre, l’église et le café, le tout étant dominé par le château accueillant la clinique dans laquelle ma tante officie."

Annonce du programme de la soirée au télé club de Nogentel (Picardie) en 1952 (document INA)
Annonce du programme de la soirée au télé club de Nogentel (Picardie) en 1952 (document INA)

"Seule intrusion de la modernité dans ce village qui semble à cent lieues de la capitale mais qui bénéficie néanmoins des ondes de l’émetteur de la Tour Eiffel, le récepteur de télévision perché dans un coin du café épicerie, attraction goûtée tant par les campagnards locaux que par le personnel de la clinique qui trouve ici une distraction faisant défaut sur son lieu de travail. Le café épicerie est donc à l’image de ces « télé clubs » ruraux qui éclosent dans les années cinquante pour offrir l’accès à un media que le montant des récepteurs réserve encore, pour quelques années, à un tout petit nombre.

Comme chez les intellectuels parisiens, on vient ici « voir la télé », nonobstant le programme."

 

Paul Claudel

"C’est ainsi que le 23 Février, l’écran est rempli de l’événement du jour : le décès de Paul Claudel. Les natifs du lieu semblent attacher toute l’importance qu’il convient à cet événement qui émane de l’écran magique, au point que, sur le chemin du retour qui monte vers le château, les collègues de ma tante ironisent avec quelque condescendance sur la parenté peut-être supposée par les Goussonvillois du poète de renom avec le beurre du même nom."

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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