Concorde

1976 Petite place de Concorde

"  Le 21 janvier 1976 marque le début des vols commerciaux de Concorde:

  • un indéniable succès technique si l'on considère les multiples problèmes qui ont dû être résolus pour en arriver là,

  • un lourd échec économique tant sur le plan de la construction que sur celui d'une exploitation qui va durer 27 ans.

Les compagnies aériennes privées qui avaient pris des options d'achat les ont dénoncées. Les États-Unis ont cessé de financer leur projet mené par Boeing en 1975 et le concurrent direct soviétique, le Tupolev 144, affaibli par la catastrophe du Bourget en 1973 sera bientôt confiné au transport de fret. Concorde est donc sans réelle concurrence sur son créneau mais c'est une victoire à la Pyrrhus.

Envols simultanés Concorde le 21 janvier 1976, TF1 Actualités 20h, 29 3 1976, 1 minute 40 (reportage dans lequel on évoque la construction limitée à 16 ou 19 avions) 

Crash de l'avion Tupolev 144 au salon du Bourget, 3 6 1973  JT 20H, 16 minutes 30

Des personnalités se sont exprimées sur l'acharnement politique qui a permis cette victoire, personnalités dont la moindre n'est pas celle d'Antoine Pinay, premier ministre des finances du Président De Gaulle déclarant le 2 mars 1971: «On dépense trop d'argent pour permettre à des milliardaires américains de traverser un peu plus vite l'Atlantique». Qui plus est, jusqu'en novembre 1977, les riches américains (ceux du Nord et plus spécifiquement de New York) n'auront pas accès à ce privilège, les États-Unis ayant interdit le survol pour cause de nuisances.

Le vol inaugural a donc pour destinations Rio de Janeiro via Dakar, une liaison à l'évidence moins prometteuse... et la levée de l'interdiction de survol ne permettra pas plus d'atteindre l'équilibre même en oubliant les lourds investissements qui ont précédé pendant plus de 16 ans le début des vols commerciaux.

 

Les défenseurs du projet se retranchent alors derrière l’argumentation des «retombées du Concorde».

Ainsi, Michel Pierre dans son ouvrages écrit-il: «Le programme Concorde serait déjà entièrement justifié s'il était inséré dans le budget de la recherche» faisant de plus valoir «l'incidence positive sur l'image et la réputation des techniques françaises» oubliant au passage l'effort conjoint de notre partenaire britannique.

La liste est effectivement longue des composants qu'il a fallu faire évoluer notamment pour supporter les hautes températures (carburants, alliages d'aluminium et aciers, isolants, liquides hydrauliques …) et pour maîtriser l'appareil (électronique, pneumatiques …).

Ces données pourraient certes être considérées pour évaluer le retour sur l'investissement des phases allant de la conception au prototypage mais encore faudrait-il conduire cette évaluation pour être en mesure d'affirmer péremptoirement le bénéfice de Concorde dans d'autres domaines à défaut du sien propre.

Le coût de concorde, Antenne 2 Journal de 20h, 7 1 1981, 1 minute

Concorde continuera à coûter 300 millions de francs par an aux contribuables français, Antenne 2 journal de 20h, 19 8 1983, 1 minute 40

En revanche, la commercialisation et l'exploitation durant les 27 ans qui allaient suivre sont plus difficiles à défendre car, selon les sources que j'ai consultées:

  • la consommation de kérosène par passager est 3 à 4 fois supérieure à celle d'un avion de ligne subsonique,

  • la charge de maintenance est estimée 10 fois supérieure à celle d'un avion subsonique, impliquant notamment en France la mobilisation permanente de 120 professionnels dédiés,

  • malgré ce luxe de précautions, on apprend très tardivement une prise de risque identifiée dans une note interne du 10 août 1979 dévoilée par l'enquête portant sur la catastrophe de juillet 2000, rapport évoquant explicitement “la probabilité de la survenance d'un accident de même nature que celui de Gonesse”.

Le Concorde avait un défaut connu du constructeur. La Croix,15 12 2004, texte

Crash Concorde: le procès d'une catastrophe prévisible, 29 1 2010, 3 minutes 10

Dans cette période qui s'étend de la fin des années 50 aux années 70, il est étonnant de constater que, à côté de cette bizarrerie aérienne, deux autres bizarreries, terrestre et maritime, sont également allées jusqu'à une commercialisation et une exploitation, plus rapidement interrompues il est vrai.

 

Un Concorde terrestre

Le Concorde terrestre a pour nom moteur rotatif Wankel. Il ne s'agit pas comme aujourd'hui de changer de type d'énergie (électrique, gaz ou hydrogène) mais de réaliser un moteur à explosion fonctionnant à l'essence d'une conception différente.

Les avantages escomptés du moteur rotatif selon ses promoteurs sont au nombre de trois:

  • «un équilibrage mécanique parfait»,
  • une atténuation des irrégularités du couple moteur,
  • une diminution des vibrations

Bréve histoire du moteur rotatif, Motor 1, 27 10 2017, 30 secondes + texte et illustrations

Le premier objectif est clairement un objectif d'ingénieur motoriste qui ne répond à aucune demande du client moyen. Le deuxième et le troisième objectifs pourraient être appréciés des possesseurs des premières voitures diesel de faible puissance qui commencent à être commercialisées en France durant les années 60 (et qui ont fait l'objet d'une précédente chronique) mais ne répondent pas à un besoin recensé sur les modèles fonctionnant à l'essence commercialisés à partir des années 50.

 

Malgré cette absence intégrale de réponse à une attente du marché, des voitures à moteur rotatif vont être proposées aux catalogues de deux constructeurs:

NSU RO 80
  •  en Allemagne, NSU en équipe un «spider» de 1964 à 1967 puis une routière familiale aux ambitions commerciales plus fortes, la NSU RO80, de 1967 à 1977.

Ces véhicules, vendus sensiblement plus chers que leurs concurrents ne bénéficiant pas d'un «équilibrage mécanique parfait», se distinguent par leur forte consommation (de 13 à 16 litres pour la RO80), par une mauvaise fiabilité et par une pénurie de mécaniciens capables de les dépanner.

  • en France par Citroën qui «offre» d'abord à des clients choisis de tester une Ami8 carrossée en coupé (la M35) puis commercialise une GS birotor de 1973 à 1975 (moteurs réalisés par une filiale commune avec NSU). Les mêmes vicissitudes sont rencontrées par les clients et, en 1975, Citroën décide de reprendre ces véhicules et offre en remplacement des CX à ses audacieux clients.

Sans affirmer qu'il y ait eu une relation unique et directe de cause à effet, on notera que NSU ruiné est repris en 1969 par le groupe VW et que Citroën est racheté par Peugeot et intégré dans le groupe PSA en 1976.

 

Un Concorde maritime

Le Concorde maritime a pour nom paquebot France. Il partage avec son homologue aérien trois caractéristiques:

  • il est promu par le pouvoir politique du moment qui en escompte un surcroit de prestige,

  • il a vocation à être utilisé majoritairement par des passagers très aisés,

  • il ne sera jamais rentable.

L'épopée du France, Thalassa, 10 1 2017, 30 minutes 20

 

Circonstance aggravante: alors que l'avion supersonique pouvait apparaître comme une solution du futur quand le pétrole n'était pas cher et que l'écologie ne constituait pas une préoccupation dominante, la navigation maritime en tant que moyen de transport transatlantique périclitait déjà sensiblement au profit du transport aérien quand la première tôle du France fut ouvragée à Saint-Nazaire en 1957.

Le lancement d'une coque inachevée le 11 mai 1960 donne lieu à un discours du Président De Gaulle vantant lyriquement les mérites du France dans les échanges des hommes et des idées entre les deux continents et sa contribution au prestige du pays.

11 mai 1960 : lancement du paquebot "France", INA, 6 minutes 10

Le 3 février 1962 a lieu la première traversée transatlantique.

Le 1 juillet 1974, Jacques Chirac, premier ministre du nouveau Président Giscard d'Estaing, décide de ne pas continuer à supporter le déficit d'exploitation du navire. Une semaine plus tard, le désarmement est annoncé.

 

Difficile à revendre, celui qui devait porter haut le prestige de la France et qui a été maintenu en état de marche en restant au «quai de l'oubli» du Havre est bradé cinq ans plus tard pour 80 millions de francs (il en avait officiellement coûté 420) et troque son pavillon France pour un pavillon Norvège.

 

A l'issue d'une seconde carrière assez chaotique, il finira à la découpe en Inde, délesté de ses 900 tonnes d'amiante et de matériaux toxiques.

Anang & le paquebot France, France 24, 2 minutes 30

 

Chroniques en rapport avec celle que vous venez de consulter :

Sur l'aéronautique des années 50 60  et sur la Caravelle, cliquez ici

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Chronique publiée en août 2020

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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