Essentiel

1993 Essentiel sublimé

"     Contrairement à 1956 et à 2020 (la prochaine étape de cette chronique), années marquées par des événements spécifiques, cette étape tentera d'embrasser les transformations lentes et souvent contradictoires durant plus de 60 ans.

 

A partir de 1956, une société dite de consommation se développe du fait de la forte amélioration du pouvoir d'achat.

La publicité qui jusqu'alors ne s'imposait qu'aux entractes des cinémas et sur les radios dites périphériques (parce que leurs émetteurs sont hors du territoire) s'invite à domicile à partir de 1968 sur décision de Georges Pompidou (présidence Charles de Gaulle).

Publicités des années 70, 25 minutes 30

Dans les années 70 apparaissent des produits à jeter après usage, rasoirs puis, entre autres, briquets et appareils photo.

Appareil photo jetable, A2 le journal de 13h, 22 2 1990, 1min 50

 

Face à la prolifération de produits peu durables ou très contestables, des organisations de consommateurs se développent en sus de l'UFC Que choisir présente depuis 1951. Ces organisations visent moins à limiter la consommation qu'à informer et à conseiller les meilleurs choix tout en incitant à limiter les gaspillages. On retrouve aussi cette sorte de «voie moyenne» dans un ouvrage publié en 1974 par François de Closets «le bonheur en plus», ouvrage portant le message «le bonheur ne vient pas de la consommation mais la consommation bien comprise et bien orientée est compatible avec le bonheur».

François de Closets sur son livre "Le bonheur en plus",Côte d'azur actualités, 30 7 1974? 2 minutes 40

 

Dans le domaine de l'édition, l'essentiel devient un leitmotiv visant surtout à attirer des lecteurs. On trouve ainsi dans le désordre l'essentiel du Canada, de la sophrologie, de la fiscalité, de Balzac, du tango argentin, du karaté shôtôkon et, suprême félicité, du bien-être au naturel.

Le cousin de l'essentiel, l'indispensable, est moins prisé des éditeurs. Il vise cependant des objectifs similaires allant de l'indispensable en culture générale à «tous les outils indispensables pour réussir votre vie».

 

Pour me faire une opinion avant d'écrire cette chronique, j'ai pris la peine – et c'en est une – de consulter «l'art de l'essentiel» de Dominique Loreau paru en 2008.

 

Je n'ai rien à redire à bon nombre de conseils judicieux si ce n'est que je n'avais pas besoin de les lire pour être convaincu. Ainsi par exemple de «posséder peu fait gagner un temps précieux» tant il est vrai que des produits et services mal conçus ou peu fiables constituent des sources de gaspillages de temps épargnées aux plus démunis. En revanche, je n'adhère pas du tout à l'idée de se séparer d'objets attachés à des souvenirs au prétexte que cet abandon me libérerait. Autre conseil fort contestable sur un plan pratique: l'idée selon laquelle l'«art de l'essentiel» imposerait de limiter ses achats de vivres à l'immédiat pour éviter le dépassement des dates limites de consommation. Ce conseil peut être valide pour des citadins disposant de commerces à proximité de leurs domiciles mais quid des autres qui devraient ainsi multiplier les aller-retour en automobile, sources de pertes de temps et de pollution?

 

Cette quête incessante de l'essentiel qui permettrait d'accéder à une vie meilleure peut confiner à une obsession risible de bannissement de tout superflu. Ainsi, une adepte Canadienne de ce que l'on dénomme le minimalisme s'efforçant valeureusement à identifier les points négatifs de sa démarche en dénombre tout de même vingt et un (sans pour autant la renier) parmi lesquels:

  • après avoir réduit son argenterie, la dame découvre le caractère variable de l'essentiel et doit réacquérir quelques couverts pour inviter des amis,

  • pour réduire sa garde-robe, elle a adopté exclusivement la couleur noire supposée passe-partout mais elle réalise que cette tonalité ne convient pas à toutes les circonstances …

Les points négatifs du minimalisme, Vivre avec moins, 21 1 2019, 13 minutes 50

 

Le choix d'assigner l'année 1993 à cette étape qui, on vient de le constater, s'étend sur six décennies trouve son origine dans la sortie cette année-là d'un album d'Alain Souchon dans lequel figure la chanson «Foule sentimentale», un texte qui fustige l'hyper-consommation … laquelle nous éloigne de l'essentiel.

Foule sentimentale, Alain Souchon, enregistrement public, 4 minutes 40

 

Le «nous» («on nous fait croire que le bonheur c'est d'avoir de l'avoir plein nos armoires») emporte l'adhésion de la foule, une foule qui, à l'image de l'auteur-compositeur, n'est sans doute pas, à quelques exceptions près, adepte d'un minimalisme radical à la poursuite d'un essentiel sublimé.    "

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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