Guerre

1954 Rutabaga

"Parmi mes proches, mon père a «fait la guerre», le cousin Léopold de la Résistance mais aucun n’en parle à cette époque.

 

Les obligations militaires ont confisqué à mon père sept ans de sa vie : à peine achevé son service militaire au château de Caen, la «drôle de guerre» le retient puis la moins drôle qui le voit fait prisonnier à Dunkerque des Allemands puis des Russes en Prusse Orientale. Il ne revient en France que tard en 1945 alors que ma mère, qui n’a plus de nouvelles de lui, est sur le point d’être considérée comme veuve de guerre par son entourage."

"Cela, je ne le sais pas en 1954 et, si je vois beaucoup de preuves vivantes des horreurs de la guerre de mes grands-parents, celle de mes parents ne semble pas avoir laissé de traces apparentes à Paris."

Photo de rutabagas

"Aussi, comme la guerre 14-18 a longtemps porté la face hideuse des gueules cassées, celle de 39-45 est alors associée pour moi au terme de rutabaga.

 

Rutabaga, cela sonne un peu comme abracadabra, c’est mystérieux et le mystère est d’autant plus épais que, des rutabagas, on se garde bien d’en voir et a fortiori d’en manger."

Photo de topinambours

"Souvent associé à son compère topinambour, le mot revient dans les conversations de mes parents avec leurs proches. C’est généralement à l’occasion d’un repas copieux confectionné comme pour exorciser ces années de guerre ou l’on manquait de tout que la conversation se porte sur le rutabaga".

Les noces de Jeannette (conforme à mon souvenir)
Les noces de Jeannette (conforme à mon souvenir)

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"A la campagne, on a de la place. Alors, les enfants ont leur tablée et peuvent s’égayer à l’entour tandis que les «grands» accumulent les pousse-café mais le pire est le restaurant ou – heureusement fort rarement – mes parents se rendent en compagnie de mon parrain et d’un couple d’amis plus âgés. Fils unique, je suis alors le seul enfant au milieu d’adultes. Et je dois faire «comme les grands». Est-ce parce que mon parrain et sa femme affectionnent particulièrement l’opérette mais je me retrouve ainsi coincé plusieurs fois au restaurant « les Noces de Jeannette» près de l’Opéra à devoir écouter des variations sur le thème du rutabaga d’antan?"

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"Toujours est-il que je garde aujourd’hui encore de ces interminables sessions une aversion pour les repas qui s’éternisent et un goût fort modéré pour les salles de restaurant étriquées.Je ne suis pas loin alors de regretter ce temps du rutabaga ou la pénurie préservait des agapes interminables."

Photo à droite : queue devant un magasin rue du 4 septembre à  deux pas des Noces de Jeannette quelques années plus tôt.

Tickets de rationnement alimentaire
Pommes de terre et denrées de substitution (rutabagas, topinambours ...)

"Beaucoup plus tard, la lecture des historiens me fera comprendre les raisons de ces débauches gastronomiques:

 

Jean-François Muracciole soulignant que les tickets de rationnement institués dès août 1940 ne permettaient d'assurer que 1200 calories quotidiennes (contre 3000 avant );

 

Henri Amouroux décrivant la réglementation alors en vigueur dans les restaurants : pas de carte, ni beurre ni sucre à disposition des clients, vingt centilitres de vin par repas, pain dur et pas blanc, plus de café ni d'alcool à partir de 15h ..."


Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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