Insectes

1962 Coexistence vitale

Mussolini sur les marais pontins
Mussolini sur les marais pontins

"     Jusqu’aux années 30 du siècle précédent, on n’avait guère de moyens de lutter contre les moustiques et l’on cherchait plutôt à les éloigner. Au plan domestique, on utilisait des lampes à huile pour les repousser et, la nuit, des moustiquaires autour des lits. En agriculture, on pratiquait la rotation des cultures qui limitait la prolifération des insectes spécifiques, l’enfumage et le brûlage des déchets végétaux et, plus rarement, on privilégiait la prolifération des coccinelles pour lutter contre celle des pucerons.

 

Le DDT (version courte bienvenue du DychloroDiphenylTrichloroéthane), identifié dès 1874, vit ses vertus insecticides reconnues et illustrées dans les années 30 par l’asséchement des marais pontins au sud de Rome (vaste étendue marécageuse insalubre, abandonnée par les hommes depuis la fin de l’Antiquité en raison du paludisme).

L’assèchement des marais Pontins, un legs de Mussolini pour de nombreux Italiens,, Le Monde International, 25 10 2022, texte

Fly-tox à pompe des années 50 60

Il connut une autre utilisation intensive durant la guerre pour endiguer le typhus et le paludisme que propageaient les poux et les moustiques. Utilisation tous azimuts (les corps, les vêtements, les appartements) par les militaires Alliés, particulièrement américains. Sur les images de Naples en 1943, je retrouve l’espèce de pompe à vélo pulvérisatrice de DDT qui était encore utilisée dans mon enfance (mais pour un ciblage moins direct des corps).

Utilisation du DDT à Naples en 1943 (en anglais), actualités, 1943, 2 minutes 20

Les Américains à Naples (cliquez pour agrandir)

Rachel Carson en couverture de TIME (1963)
Rachel Carson en couverture de TIME (1963)

La guerre achevée, l’industrie chimique du DDT (essentiellement américaine et allemande) s’étend considérablement à l’agriculture. En France, un insecticide à usage domestique est intitulé RAID et se glorifie de «tuer raides tous les insectes».

Le livre de Rachel Carson publié en 1962 a valeur d’alerte puisqu’il démontre que si l’on continue ainsi à détruire radicalement «tous les insectes», c’est à la vie humaine que l’on va finir par attenter.

En 1959, Rachel Carson a été alertée par un ami qui avait constaté la mort de nombreux oiseaux simultanément aux hécatombes d’insectes soumis aux pulvérisations de DDT. A partir de là, cette biologiste marine décide de se consacrer à la recherche sur ce sujet.

De son livre «Le Printemps silencieux», on peut dégager trois constats scientifiquement étayés:

  • le DDT ne tue pas que les insectes. Il tue d’autres animaux dont les oiseaux,

  • le DDT est persistant et cumulatif. Au-delà de son effet ponctuel en surface, il se répand durablement dans les sols et les cours d’eau,

  • le DDT menace donc toute la chaîne alimentaire et peut provoquer des dommages pour la santé (notamment des cancers mortels).

Ainsi propose t’elle de bannir le terme d’insecticide pour le remplacer par celui de biocide, un mot qui manifeste la volonté d’attenter aux vivants, qu’ils soient ou non nuisibles. Et ce mot peut tout aussi bien s’appliquer aux engrais et aux herbicides proposés par les industries chimiques.

Entretien avec Dave Goulson (sous-titré en français), APEnvironnement, 2023, 11 minutes


L’ouvrage est caractérisé par son style accessible à un vaste public (comme l’avaient été ses deux ouvrages précédents consacrés à la biologie marine), propriété qui lui assure une large diffusion mondiale.

Rachel Carson, pionnière de la lutte contre les pesticides, France Culture,  11 12 2022, 4 minutes 20


La très puissante industrie chimique réagit violemment mais, faute de pouvoir le faire avec une contre-argumentation sérieuse, tente de discréditer l’auteur.
 Le sénateur du Tenessee Al Gore dans la préface qu’il signe pour une réédition en 1987 énumère les qualificatifs assénés à l’encontre de celle qui révèle une vérité embarrassante.

En France dans les années 60, Guy Béart chante «Le premier qui dit la vérité il doit être exécuté» (La Vérité, 1969, 4 minutes 10) :

    • extrémiste, en d’autres termes communiste, ce qui n’a guère de sens car les régimes communistes appliquent les mêmes pratiques agricoles,
    • hystérique, (c’est une femme …),

Rachel Carson,figure phare de l’écoféminisme, Centre Culturel d'Uccle, non daté, texte
    • non crédible scientifiquement, ce que son cursus dément de même que l’abondante bibliographie à laquelle elle se réfère. Mais il se trouve toujours des scientifiques jaloux ou, plus prosaïquement, soucieux de se ménager les bonnes grâces de généreux industriels,
    • sentimentaliste, auquel je substituerai volontiers le qualificatif de philanthrope pris dans son sens courant de «personne qui œuvre pour le bien de ses semblables, pour l’amélioration de leur condition».

N.B. Rachel Carson était alors atteinte d’un cancer et savait son espérance de vie limitée. Elle tenait à terminer son ouvrage engagé à la fin des années 50. Elle disparaît en 1964, à 56 ans.

L'héritage de Rachel Carson, La semaine verte, 06 02 2023, 13 premières minutes

A ces attaques ad hominem s’ajoutent:
    • des mesures économiques dissuasives. Ainsi, la chaîne de télévision CBS, qui a diffusé une émission d’une heure au sujet des révélations, se voit privée de deux de ses financeurs («sponsors»),
    • la diffusion de bobards («fakenews») tels que «s’en prendre aux solutions de lutte chimique, c’est accepter une invivable invasion des insectes» en accréditant tacitement la solution chimique comme la panacée. Ce bobard-là avait sans doute vocation à contrecarrer le constat extrait de l’ouvrage de Rachel Carson (page 59): «La fine couche de sol qui recouvre irrégulièrement les continents contrôle notre existence et celle de tous les autres animaux de la terre. Sans sol, la végétation terrestre telle que nous la connaissons ne pousserait pas, et sans plantes, aucun animal ne survivrait».


L’hécatombe des insectes s’accompagne de victimes collatérales (anéanties et victimes de souffrances horribles), entre autres:
    • outre les oiseaux qui ne trouvent plus de proies ou se rabattent sur des proies empoisonnées,
    • les animaux domestiques qui se lèchent (les chats notamment) ou se vautrent sur des sols imprégnés,
    • les petits mammifères (les écureuils notamment),
    • les poissons de rivières contaminés par les eaux de ruissellement,
    • les humains victimes d’intoxications et de cancers en nombre croissant malgré les progrès médicaux.


Les insectes sont donc à la base de l’«édifice du vivant» que nous chapeautons et, en dépit de leur présence souvent enquiquinante, notre coexistence avec eux nous est vitale.   "

 

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Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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