Résilience

1999 Itinéraires bis

Boris Cyrulnik et Bernard Pivot de profil au premier plan lors de l'émission Bouillon de culture en 2001
Boris Cyrulnik et Bernard Pivot de profil au premier plan lors de l'émission Bouillon de culture en 2001

"   En mars 1999 paraît un livre du psychanalyste Boris Cyrulnik, lequel choisit pour titre un oxymore qui intrigue mais ne renseigne guère sur le contenu: «Un merveilleux bonheur».

 

Par chance, l'auteur, également vulgarisateur attrayant (entre autres talents), est déjà connu par le truchement des média de masse et sait capter un public dépassant sa spécialité.

Boris Cyrulnik, bouillon de culture, 23 2001, 15 minutes 20

 

Cet ouvrage sera considéré comme le déclencheur de la popularité en France du mot résilience appliqué à des humains. On y trouve deux définitions du mot pris dans ce sens:

  • sur la quatrième de couverture «capacité à réussir, à vivre, à se développer, ce en dépit de l'adversité»,

  • page 205 «la résilience, c'est plus que résister, c'est aussi apprendre à vivre».

La résilience est donc décrite comme une capacité individuelle que l'on peut développer à certaines conditions qui tiennent plus à l'acquis qu'à l'inné, notamment précise l'auteur celle d'avoir reçu un accueil attentionné d'au moins un adulte dans sa plus tendre enfance.

Le concept de silience expliqué par Boris Cyrulnik, INA, 1999, minutes 50

 

Autre caractéristique notable par rapport à ce que nous avons vu précédemment: il n'est pas indispensable d'avoir subi un traumatisme violent (physique ou moral) pour que ce processus s'enclenche. La couverture de la résilience s'étend au-delà de la seule réaction pour devenir une «recette de vie» («apprendre à vivre»), ce qui, on le verra ultérieurement, ouvrira la porte à bien des dérives.

Cependant, dans un entretien publié en DVD en 2008, il proposera en guise de «définition la plus simple»: «comment reprendre un nouveau développement après une agonie psychique». On peut y voir une contradiction entre d'une part un traitement répondant ponctuellement à un choc cruel (la mort d'un proche, être rescapé d'un attentat …) et d'autre part une discipline de vie apportant un confort disponible au jour le jour indépendamment de tout événement fortement perturbant.

 

A la lumière de son intervention dans l'émission Bouillon de culture du 23 février 2001, je l'interpréterai plutôt comme une forme de préparation, de gymnastique intellectuelle qui permet de mieux supporter des événements plus ou moins déstabilisants, un peu à la manière d'une suspension automobile qui gomme plus ou moins selon sa conception les aléas de la route.

 

Ce qui est certain dans cette période autour du changement de millénaire, c'est que la résilience est avant tout une affaire individuelle même si durant cette émission Boris Cyrulnik attribuera en s'en moquant une publicité pour des matelas résilients à son talent de vulgarisateur.

Tour Eiffel illuminée le 31 décembre 1999
Tour Eiffel illuminée le 31 décembre 1999

 

Et pourtant, il y a une échéance qui préoccupe tout le monde (et en occupe beaucoup): le passage à l'an 2000 qui pourrait provoquer des dysfonctionnements voire des catastrophes si on ne l'anticipait pas. Ce risque est évidemment mondial et couvre bien des domaines mais trouve son origine dans l'informatique des années 60-70, quand les ressources de traitement des données étaient comptées et que l'an 2000 se perdait encore dans la nuit des temps (comme disait un de mes professeurs d'histoire).

Histoire du passage à l'an 2000, Facebook, non daté, texte et illustration

 

Les programmeurs avaient alors choisi de ne considérer que les positions des décennies, solution judicieuse … jusqu'en 1999. Or, cette logique avait pu être conservée dans ces programmes souvent émulés, retraduits mais durables à un point que n'escomptaient pas leurs auteurs. Depuis lors, l'informatique s'était considérablement étendue et imbriquée, augmentant les risques de ricochets. Dans les entreprises, des projets de passage à l'an 2000 avaient été créés, des projets paradoxaux qui avaient pour objectif de ne surtout rien changer, mais d'assurer une continuité et de prévoir des solutions de rechange (d'où le titre itinéraires bis) pour assurer la continuité des opérations, même avec une dégradation temporaire.

Mon entreprise d'origine américaine intervenait dans le domaine informatique et, qui plus est, commercialisait, entre autres, des services informatiques de conseil au passage à l'an 2000. On imagine donc aisément les gorges chaudes qu'aurait pu faire un célèbre journal satirique si le donneur de conseil avait trébuché avec sa propre gestion interne.

 

Professionnellement, j'avais été chargé dès mi 98, de diriger la cellule de management de ce projet pour l'informatique interne, en liaison avec les instances internationales de mon entreprise, couvrant outre la France (incluant évidemment sa dizaine de territoires d'outre-mer), la Belgique, le Luxembourg, les États francophones Africains et les États arabes du Golfe Persique. La variété des pays, de leur taille et de la sophistication de leur systèmes d'informations imposait évidemment des actions différemment adaptées et dimensionnées ainsi que la contribution de relais nombreux tant dans les services informatiques que dans les fonctions utilisant ces services.

 

Toute cette présentation pour mieux appréhender la dimension de l'enjeu «vu des cuisines» et parvenir à la chute que voici : dans mon entourage professionnel tant national (incluant ponctuellement quelques grands clients) qu'international, je n'entendis jamais prononcer les mots résilience ou resiliency et, pour être franc, jamais alors il ne me vint à l'esprit d'attribuer ce qualificatif à ce projet qui m'occupa plus d'un an et demi.

 

Et pourtant, il s'agissait d'être préparé à passer une échéance à haut risque et. le cas échéant, à en corriger au mieux et surtout au plus vite les conséquences s'il survenait néanmoins notamment en provenance de l'extérieur (affectant l'énergie, les moyens de transport, nos partenaires, fournisseurs ou sous-traitants par exemple).

 

Pour ne prendre qu'un exemple lié à notre propre gestion, la revue et la mise à jour quand nécessaire des plans de continuité des fonctions (quelle que soit leur forme et leur appellation selon les pays) qui avait été opérée en vue du passage à l'an 2000 fut particulièrement appréciée par certaines Fonctions lorsque survinrent deux grandes tempêtes mémorables les 26 et 27 décembre 1999.

Tempêtes du siècle : quand Lothar et Martin dévastaient la France, Meteo Consult, 22 12 2022, 4 minutes 50 

 

4 étapes du Business Continuity Management
4 étapes du Business Continuity Management

Tout n'était pas nouveau dans la démarche suivie: en France, j'avais dès 1977 accompagné un projet d'un document établi avec la fonction utilisatrice établissant notamment, en cas d'incident, les conditions de reprise de l'application que je remettais à mes collègues informaticiens qui allaient avoir en charge sa gestion quotidienne durant une durée indéterminée.

 

La trame de ce «contrat de service» enrichie de la pratique de près de deux décennies d'utilisation s'intégrera en 1996 dans un ouvrage que je consacrerai à «la qualité de l'informatisation».

 

Mais il faut bien considérer que cette préoccupation n'était pas au départ unanimement partagée car même si son investissement marginal restait modeste au niveau d'un projet , il s'agissait, comme pour le passage à l'an 2000, de dépenser de l'argent pour anticiper, «pour le cas ou» et, dans le cas du contrat de service, de démarrer sur des bases claires avec/acceptées par les fonctions utilisatrices du service informatique.

 

Cette situation est confirmée par Véronique Nagy Rademacher qui, dans son livre «Manager la continuité des activités» publié en 2018, raconte que quand elle a commencé dans le conseil sur le thème de son ouvrage en 1996, la remarque la plus fréquente qu'elle entendait était: «Ce n'est tout de même pas demain qu'un avion va nous tomber sur la tête».

 

Puis viendra le 11 septembre 2001...    "

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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