Santé

1956 Parcours de maladies

Francis-Ford Coppola, né en 1939, atteint par la polio durant son enfance
Francis-Ford Coppola, né en 1939, atteint par la polio durant son enfance

"    Pour appréhender la situation de la santé en France durant la période d’après-guerre, on peut dans une certaine mesure considérer ce qui se passe aujourd’hui dans des pays moins développés.

On ne meurt certainement pas de faim en France à cette époque mais les restrictions alimentaires en vigueur durant la guerre et, à un moindre niveau, après la guerre (tickets de rationnement jusqu’en 1949) joints au manque de médicaments et aux conditions de chauffage médiocres ont dégradé les conditions sanitaires d’avant-guerre.

Coppola évoque son enfance marquépar la polio, Le Divan, 20 03 1993, minutes 30 

Citons quelques chiffres pour nous en convaincre:

  • En 1946, selon Gérard Bardy, un enfant sur dix meurt dans sa première année. Ce taux est supérieur à celui des pays africains en 2005 (90 pour 1000). Cette même année 2005, selon l’INED, il était tombé en Europe à 8 pour 1000 ;

L’espérance de vie en France, INED, 07-2020,

  • L’espérance de vie en 1950 atteint 63,4 ans pour les hommes et 69,1 ans pour les femmes. L’âge légal de départ en retraite étant alors fixé à 65 ans, on peut considérer avec un peu de mauvais esprit que les hommes financent en partie la retraite des femmes …

Les maladies qui sévissent alors ont pour noms diphtérie, pleurésie, méningite, fièvre typhoïde, poliomyélite et surtout tuberculose. Peu de familles sont épargnées par le fléau de la tuberculose qui a conduit le pays à se couvrir au début du siècle d’établissements spécialisés: les préventoriums et les sanatoriums.

Apologie de l'héliothérapie pour guérir la tuberculose osseuse (rediffusé par la RTS en 1963)
Enfants faisant de la gymnastique dans la neige à Leysin
Enfants faisant de la gymnastique dans la neige à Leysin

La science médicale reste relativement impuissante à éradiquer cette calamité. Pour s’en convaincre, il n’est que d’ouvrir le «nouveau petit Larousse illustré» dans son édition de 1952: «la tuberculose est guérissable par la suralimentation, la vie au grand air, le repos».

En matière de suralimentation précisément, certaines préconisations médicales semblent issues de spécialistes béarnais fortement inspirés par le gavage des oies. Pierre Guillaume cite la prescription médicalement conseillée aux tuberculeux: dose quotidienne de 700 à 800 grammes de viande rouge assaisonnée avec 200 à 300 grammes d’huile de foie de morue, le tout copieusement arrosé de vin, de préférence de Bordeaux (pour soutenir la viticulture du Sud Ouest ?).

Comme ce régime plantureux ne garantissait pas la rémission, on pouvait aussi avoir recours à des techniques chirurgicales, de la chirurgie lourde en l’occurrence. Je ne me souviens pas d’avoir alors jamais entendu parler de thoracoplastie durant mon enfance. Il s’agissait d’obtenir une rétractation du poumon atteint en provoquant un affaissement de la cage thoracique par ablation de tout ou partie des côtes.

On en venait à cette extrémité lorsque le pneumothorax ne pouvait être envisagé, lequel pneumothorax consistait à insuffler du gaz dans la plèvre obtenir un effet de rétractation favorable à une stabilisation de la maladie.

Bien que réputée moins traumatisante que la thoracoplastie (à la dénomination évoquant pourtant plus une plastique avantageuse du buste plutôt qu’un dépeçage des côtes), le pneumothorax devait être une opération redoutable et aléatoire. Les adultes en parlaient alors avec la même retenue horrifiée que celle dont ils évoquaient l’électrochoc pour le traitement des maladies mentales.

Le traitement de la tuberculose par les antibiotiques provoquera d’ailleurs dans une partie des sanatoriums des réticences assez comparables à celles observées dans le même temps pour le recours à la chimiothérapie dans les asiles.

Pierre Guillaume fait ainsi état d’une étude publiée à Bordeaux en 1961 minimisant les vertus curatives des antibiotiques (pourtant connus et diffusés en France depuis 1949) et alléguant «une augmentation réelle de la morbidité tuberculeuse de 1954 à 1957» afin de défendre la poursuite du «traitement social» de la maladie. Le lobby des viticulteurs du Sud Ouest aurait-il frappé?

Pour redevenir plus sérieux, il faut bien constater que les tuberculeux étaient souvent traités comme des pestiférés qu’il convenait d’isoler des bien-portants, bien-portants réputés «sains de corps et d’esprit», donc devant être épargnés du contact des tuberculeux d’une part, des fous de l’autre.

Avertissement très explicite à Suresnes (près de Paris)
Avertissement très explicite à Suresnes (près de Paris)

Il était courant d’entendre des propos peu amènes à l’égard des familles touchées par la tuberculose. Me revient en mémoire l’expression utilisée par un adulte de mon proche entourage, mettant froidement à l’index «une famille de tubards». Le terme de «poitrinaire» était également utilisé, comme si une affection respiratoire suffisait à qualifier une personne.

Suresnes, pionnière de l'hygiène, Suresnes Mag Septembre 2020, texte et illustrations.

Utilisation du mot "tubard" sur ce site dont l'illustration ci-dessus est extraite

Pour protéger leurs progénitures, les parents pourraient bientôt compter sur le BCG. L’opération consistait à inoculer le germe par un marquage en haut d’un bras à l’aide d’une sorte de plume sergent-major puis à observer le résultat quelque temps plus tard. Dans la plupart des cas, le diagnostic était probant: on n’avait pas viré sa cuti et l’on était donc normalement prémuni contre le danger. Ce rite a depuis lors disparu dans les pays économiquement développés mais l’expression «virer sa cuti» est restée présente avec des acceptions diverses. Ma mère l’utilisait dans le sens de «retourner sa veste», autre expression imagée.

Pareillement à la tuberculose, la poliomyélite constituait un épouvantail sanitaire. Si les tuberculeux restaient pour moi un peu mystérieux, la poliomyélite constituait une réalité bien tangible, incarnée par les malheureux que je voyais couramment se rendre à l’établissement de la ville de Paris dédié à leur suivi presque en face de notre immeuble, boulevard Saint-Marcel. Ces personnes, qui se mouvaient comme des pantins désarticulés suscitaient chez mes proches plus de compassion – peut-être parce qu’ils suscitaient moins de crainte de contagion – que celles atteintes de la tuberculose.

Les buts de la vaccination anti-polio en France, Les actualité françaises, 21 01 1957, minute 20

 

Tuberculose et poliomyélite sont aujourd’hui en France des maladies oubliées, au contraire du cancer dont chacun sait qu’il frappe hélas encore. J’eus une conscience précoce de cette maladie terrible qui devait emporter à peu de temps d’intervalle une amie de mes parents et l’une de ses filles. Comme la maladie n’était pas contagieuse, je fus ainsi témoin involontaire de quelques scènes pénibles.

Cependant, à côté de ces calamités qui me donnaient tôt conscience du destin humain, j’étais aussi «acteur», à mon modeste niveau, de maladies relativement bénignes mais dont la fréquence l’enviait à la diversité.

Je ne suis aujourd’hui bien entendu plus en mesure d’établir la chronologie des affections qui me touchaient à peu de distance comme elles atteignaient mes contemporains issus du baby-boom. Je peux néanmoins en dresser une liste, peut-être d’ailleurs pas exhaustive: coqueluche, rougeole, varicelle, oreillons, scarlatine et rubéole en constituaient la litanie, nonobstant, pour faire bonne mesure, les rhumes et autres bronchites durant chaque hiver.

Cela présenterait-il un quelconque intérêt? je ne suis pas capable non plus de décrire les causes et les effets respectifs de ces affections aux appellations plutôt mélodieuses (oreillons exceptés). Je me souviens seulement de fièvres, de troubles intestinaux, d’éruptions cutanées, de toux et de suintements abondants du nez.

 

Quant aux remèdes censés me guérir, je me souviens que les sirops étaient parfois ragoûtants au point d’en abuser, le plus souvent répugnants, «à avaler d’une traite en pensant à autre chose». L'huile de foie de morue était alors considérée comme un remède aux maux les plus variés, y compris la tuberculose.

Au Canada aussi ...La palpitante histoire de l'huile de foie de morue, Radio-Canada, 15 12 2022, 1 minute 50

Les infusions à l’eucalyptus constituaient par comparaison un véritable enchantement, enchantement que ne devaient pas partager les adultes qui leur préféraient des grogs, décoctions copieusement aromatisées au rhum.

Une version normande du grog à destination des enfants avait également cours dans le Calvados. Je la vis plusieurs fois administrée à de jeunes enfants jusque dans les années soixante. Il s’agissait du canard, un canard qui n’avait rien à voir avec l’oiseau palmipède mais qui se matérialisait par un morceau de sucre placé dans la bouche du bambin après avoir été consciencieusement imprégné d’un calvados maison, au dosage dépassant et, de loin, les 51° réglementaires.

Pour ma part, je devais échapper à cette médication rurale de même qu’aux cataplasmes à la graine de moutarde, sensationnels pour décongestionner les bronches, et aux ventouses, recyclant les verres de ladite moutarde pour calmer les douleurs.

Afin de compléter mon panorama médical personnel des années cinquante, j’évoquerai maintenant les professionnels de la santé. Ils étaient pour moi à Paris au nombre de trois: le «médecin de famille» qui méritait alors pleinement cette appellation puisque non content de soigner la famille, il se déplaçait sans rechigner sur son lieu de vie, le pharmacien et les sœurs Rosalie que j’assimilerai à une personne unique tant leur uniforme singulier les rendait interchangeables.

Une pharmacie hier, un musée aujourd'hui
Une pharmacie hier, un musée aujourd'hui

Le pharmacien, M Petitjean, était un pharmacien comme l’on n’en voit plus qu’en cire dans les musées de pharmacie. Son officine toute en bocaux et en petits tiroirs en bois était située dans une maison d’un étage qui, avec ses deux voisines du même gabarit, détonnait sur le boulevard Saint-Marcel, quasi-intégralement bordé d’immeubles haussmaniens hauts et massifs.

Il y avait là successivement à partir de mon «école communale de garçons» en direction de la rue des Fossés Saint-Marcel, un café (!), un marchand de TSF, le pharmacien Petitjean et l’entrée d’une usine située en retrait du boulevard.

Au moins septuagénaire, M Petitjean avait vraisemblablement passé sa vie ici, peut-être même avait-il créé ce commerce. Ce petit pâté de maisons provinciales et l’usine en retrait du boulevard allait bientôt être voué à la destruction pour faire place à un unique immeuble massif. M Petitjean allait se retirer, au désespoir de ma mère qui appréciait ses conseils et ses préparations. C’était une vraie pharmacie sans parapharmacie lucrative mais avec un laboratoire dans l’arrière boutique ou M Petitjean préparait des remèdes adaptés à des clients qu’il avait pris le temps d’écouter. Toute ressemblance avec une pharmacie d’aujourd’hui serait étonnante …

Soeur Rosalie
Soeur Rosalie

Pour les soins courants, on pouvait compter sur le dévouement des sœurs Rosalie dont le dispensaire était situé en bas de la rue Geoffroy Saint-Hilaire, tout à côté de l’entrée du Jardin des Plantes donnant sur le muséum d’histoire naturelle.

Comme les médecins, elles ne rechignaient pas à se déplacer, à grimper les étages souvent dépourvus d’ascenseurs.    "

Aujourd'hui, le contingent de médecins n'ayant pas augmenté au même rythme que celui des patients, ce sont les patients qui doivent se déplacer (parfois loin de chez eux) pour les consultations. A Orléans, comme dans bien des villes, les urgences n'acceptent plus que les "urgences vitales"  ...

 

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

Pour faire un commentaire, une suggestion, une critique, cliquez sur ce lien