Santé

2009 Illusions perdues

"        Le plus souvent, les dates des étapes correspondent à des événements comme par exemple en ce qui concerne cette chronique consacrée à la santé :

  • l’affaire de l’ARC dans l’étape qui précède en 1996,
  • les changements apportés et à venir par l’intelligence artificielle, changements révélés au grand public en 2023 par la diffusion de ChatGPT puis celle d’autres «chatbots» concurrents.

D’autres étapes prennent des dates plus ou moins arbitrairement choisies car elles concernent des transformations qui se déroulent sur un temps long.

Celle-ci en fait partie du fait qu'elle couvre toute la période baby-boomer et s’étendra à coup sûr au-delà, de l’optimisme parfois inconsidéré de l’après-guerre qui conduisait à croire à un progrès infini grâce à la science jusqu'au réalisme, voire au pessimisme, qui tempère singulièrement cette euphorie, au point d'envisager en 2023 un «suicide de l’espèce».

Légende de ces deux photos

Comme en qui concerne les logements, les hôpitaux étaient beaucoup plus spartiates et inconfortables dans les années 50.

Pour rendre visite à un malade, j'avais accompagné mes parents à l'Hôtel-Dieu à Paris. J'ai gardé le souvenir de ces grandes salles qui n'accueillaient pas que des personnes atteintes de maladies bénignes (le malade que nous avions vu devait mourir peu de temps après).

A comparer à une chambre individuelle du récent CHU d'Orléans.

Et pourtant, comme pour les logements d'alors, cela ne suscitait pas de jérémiades.

L'espoir en l'avenir prévalait.

A comparer aussi pour les logements avec la situation de 2023...

 

Comment ne pas être optimiste après la guerre quand l’espérance de vie à la naissance en France a bondi de dix ans de 1930 (57 ans) à 1950 (cf. l’étape de 1956)?

Quand, en 1945, un système de protection généralisé est instauré qui inclut l’universalité assurantielle. Cependant, celle-ci, insupportable financièrement, est abandonnée dès 1950: ce sera la première désillusion.

Quand, en 1946, la médecine du travail devient applicable et obligatoire dans toutes les entreprises. Le rôle du médecin du travail est étendu aux conditions de travail et il est redevable au Ministère du travail d’un rapport annuel faisant état des accidents du travail.

 

Pourtant, bien qu’un plan d’ensemble ait été établi par l’État durant cette période pour éradiquer les maladies professionnelles, les auteurs de «La santé au travail» feront en 2006 le constat de deux échecs majeurs:

Le mineur souffle dans un appareil de mesure
Un mineur de fond avec un médecin du travail
  • la silicose, qui est reconnue comme maladie professionnelle par la loi du 2 août 1945, ne s’éteindra qu’en 2004 avec la fermeture de La Houve dans le bassin houiller lorrain;
  • l’utilisation de l’amiante, source de l’asbestose, ne sera interdite qu’en 1997 et les effets mortifères se poursuivront bien au-delà de 2023 du fait notamment des constructions y ayant eu recours et d’un temps de latence de déclaration de l’asbestose pouvant atteindre plusieurs décennies après l’exposition.

La fin du charbon en Lorraine à La Houve, Le Républicain Lorrain-archives, 23 04 2014, texte

 

Concernant la silicose, on peut comprendre que l’abandon des mines n’était pas à l’ordre du jour en 1948 quand le charbon était jugé indispensable au redressement du pays, que les mineurs étaient fiers de leurs emplois et voulaient d’abord être payés à la hauteur des risques qu’ils acceptaient de prendre.

La grande lutte des mineurs, Fédération des travailleurs du sous-sol CGT,1948, 12 minutes

Les mineurs (historique de l'abandon et des actions syndicales),A2 20h, 16 02 1984, 3 minutes 10

Ensuite, à partir des années 60, je comprends moins bien la persistance d’une exigence de maintien de cette activité subventionnée dans le charbon plutôt que celle d’une reconversion sur place, non dangereuse et financièrement supportée. Je comprends aussi moins bien les atermoiements des gouvernements qui se sont succédé sans faire montre d’une vision à moyen terme.

Pompidou durant son discours TV

Cependant, plutôt que de préparer la transition, Georges Pompidou recourait encore en 1963 à la réquisition des mineurs en gréve et justifiait longuement sa décision en accusant à mots couverts les mineurs de mettre en péril le pays et les citoyens.

Interview du Premier Ministre Georges Pompidou sur l'ordre de réquisition dans les mines, J.T. 20H, 08.03.1963, 4 minutes 3003.1963, 4 minutes 30 

 

Concernant l’asbestose, rien n’imposait l’emploi de l’amiante car, à ma connaissance, des produits de substitution, certes plus chers, existaient pour tous les domaines de son utilisation. Le danger était connu mais caché ou minimisé tant par les producteurs que par les entreprises en faisant usage. Il ne pouvait pas être ignoré de l’État qui s’était donné un objectif d’éradication des maladies professionnelles (jamais démenti, toujours à ma connaissance).

En 2021, encore des manifestants de la vallée de la mort
Dessin humoristique

Quant au rôle des médecins du travail, diverses mesures, tant législatives que réglementaires, seront prises à partir des années 1970 pour renforcer leur rôle sans que cela n’aie que des résultats à la marge. Ainsi, Cécile Maire qui a conduit un travail de recherche sur les dangers de l’amiante dans l’industrie de Condé sur Noireau (Calvados) cite t’elle la réponse d’un médecin du travail face au désastre humain qui s’était poursuivi jusqu’aux années 90 : "Mais Madame (..), on ne reconnaissait que les cas les plus importants d'asbestose, si on avait reconnu tout le monde, ça aurait mis l'entreprise en jeu".

 

Le syndicalisme français au prisme de l'amiante, Editions Législatives-Rapport, 31 08 2017, texte et illustrations

Amiante : l'avenir étouffé de Condé sur Noireau, Le Figaro, 15 10 2007, texte

La situation du médecin salarié par l’entreprise, face à une hypothèse que peu sans doute étaient prêts à accepter, explique, à défaut de l’excuser, cette dérogation au serment d’Hippocrate.

 

Autre illusion de taille de l’après-guerre: celle que, grâce aux progrès de la science, nous épuisions petit à petit les maladies à combattre et que le combat finirait par cesser faute de ces adversaires.

Sigle SIDA pour la journée mondiale

Cette illusion s’envolerait brusquement avec l’avènement brutal et mondial dans les années 80, maladie virale qui, comme plus tard le coronavirus, se transmet alors d’autant plus vite:

  • qu’elle se transmet entre humains,
  • que ces humains vivent de plus en plus dans des cités aux transports collectifs souvent saturés,
  • que ces humains se déplacent de plus en plus d’un pays à d’autres plus ou moins bien médicalement protégés et plus ou moins bien préparés à affronter des pandémies.

Le coronavirus confortera la prise de conscience de ce risque à partir de 2019 et bien au-delà puisqu’il nous offre encore ses variantes en 2023 (raison de plus de ne pas le féminiser en «la Covid-19» comme l’a recommandé l’Académie Française).

Les migrations de populations liées notamment au réchauffement climatique ne pourront qu’augmenter cette menace dans les années à venir.

 

Démoustication au DDT du littoral languedocien en 1964
Démoustication au DDT du littoral languedocien en 1964

Et des maladies sont apparues autres que celles associées à la propagation de virus comme le montre Anne Debrosse dans «Les maladies émergentes». Je n’en ferai pas ici la liste et me limiterai à quelques coups de projecteurs :

  • des maladies anciennes, oubliées ou supposées disparues pour l’éternité, peuvent réapparaître du fait d’un usage abusif des antibiotiques perdant leur pouvoir protecteur,
  • les insecticides, et particulièrement le DDT jusqu’aux années 70, que ce soit pour améliorer les rendements agricoles ou pour rendre habitables des espaces dans le cadre de l’«aménagement du territoire» n’ont pas un effet définitif en surface mais par contre ils s’incrustent durablement et cumulativement dans le sol, transmettant ainsi des résidus générateurs de maladies aux aliments cultivés et à l’eau voulue potable,

La démoustication du littoral languedocien, Rivages Héraultais-INA, 03 05 1964, 3 minutes + contexte historique en lien le 21 12 2022 

Dilemmes autour de la démoustication du littoral méditerranéen, open-éditions-Vertigo, 05 2016, texte

  • plus particulièrement, la démoustication a pour effet comme son nom l’indique d’éliminer des moustiques … mais elle a aussi l’effet malvenu de renforcer les défenses de ceux qui subsistent et qui sont alors capables de propager des maladies mortelles, 

Languedoc-Roussillon: le littoral en alerte pour contrer l'invasion du moustique-tigre, La Dépêche, 09 05 2013, texte et illustrations

Moustique tigre : la carte des départements sous surveillance, pourquoi docteur, 05 02 2017, texte et illustrations

La démoustication, la tour du Valat- institut de recherche, 03 2020, rapport de 11 pages avec illustrations

Terre maraichère polluée au plomb des égouts parisiens à Achères (Yvelines)
Terre maraichère polluée au plomb des égouts parisiens à Achères (Yvelines)
  • les sols, l’air et l’eau ne sont pas seulement pollués par les insecticides mais aussi par les herbicides, par des installations industrielles (parfois détruites et oubliées depuis longtemps) mais aussi en région parisienne par les boues des égouts parisiens déposés là jusqu’en 2006 pour leur pouvoir d’engrais … mais qui laissent des terres incultivables parce que les égouts contenaient aussi du plomb (entre autres) ainsi que le décrit Laura Verdier.

On voit ici qu’au niveau de l’État la préoccupation de santé doit (devrait?) s’étendre bien au-delà des ministères de la santé et du travail.

Apparaissent aussi des pathologies dites «de société» comme l’obésité qui s’est propagée d’abord aux États-Unis puis en Europe, la France n’étant pas épargnée.

Une obésité due à une alimentation inadaptée et à un mode de vie trop sédentaire (une obésité qui, statistiquement, atteint en plus grand nombre les animaux domestiques vivant avec des personnes obèses).

Au sujet de l’alimentation, l’hépato-gastroentérologue Jean-David Zeitoun va plus loin en publiant en 2023 «le suicide de l’espèce». Il y stigmatise la production alimentaire industrialisée apparue dans les années 70 et qui s’est constamment développée depuis lors.

Pour étayer l’inquiétant titre de son ouvrage, il mentionne notamment l’existence de 330 additifs de conservation inutiles recensés en Europe. Mais c’est surtout l’abus de sucre qu’il considère comme le facteur le plus délétère parce que:

Histogramme : triplement en 46 ans
Croissance mondiale de la consommation du sucre : un triplement de 1970 à 2016
  • pernicieux: qui s’attendrait à en trouver par exemple dans des soupes ou des des légumes en boîtes, des pizzas surgelées, de la charcuterie?
  • nocif: altérant bien sûr le foie (selon l’INSERM, boire ne serait-ce qu’une canette de soda par jour risque d’entraîner une intoxication du foie) mais aussi le cerveau,
  • dispensable: le sucre, comme une drogue, a un potentiel addictif considérable qui explique sa consommation croissante. Pourtant, l’organisme pourrait s’en passer totalement.

  Et si l'on essayait d'arrêter complétement le sucre ?, Europe 1, 21 07 2019, texte

A ce sujet, Jean-David Zeitoun écrit notamment: «En transformant les aliments, en particulier en ajoutant du fructose, les industriels ont réussi en moins de 50 ans à développer un des plus gros marchés de la dépendance toxique de l’histoire» et cette «transformation pousse les humains à manger des aliments qui leur font du mal même quand ils n’ont pas faim».

  Entretien avec Jean-David Zeitoun, TF1-Quotidien, 01 03 2023, 12 minutes

Et il insiste sur le rôle déjà joué par les États (dont la France) en matière d’alcool et de tabac et qui devrait l’être aussi dans ce domaine ou manger correctement coûte objectivement plus cher et s'avère moins «attirant» parce que dépourvu d’effets addictifs ajoutés.

  Les enfants dans la publicité du sucre vers les années 50, Dieses, 13 09 2021, texte et illustrations

 

Je ne peux que me poser la question: Qu’ont donc fait chacun des quelques 25 ministres de la santé qui se sont succédé depuis cinquante ans pour endiguer cette néfaste transformation?

Je n’ai rien identifié en dehors du décret de 2007 (Philippe Douste-Blazy ministre) qui impose la mention que chacun peut voir en bas des écrans (Pour votre santé ...), laquelle mention s’affiche précisément sur des produits concernés: schizophrénie frileuse n’allant même pas jusqu’à attirer l’attention sur les risques encourus comme pour le tabac (violemment) et l’alcool (sur un mode plus «cool»).

 

Et de faire le constat désolant du point ou nous en sommes arrivés aujourd’hui, lequel est très loin d’inspirer l’optimisme que partageaient mes contemporains en matière de santé durant les années d’après-guerre.     "

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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