Intelligence artificielle

1956 Baptême d'une quinquagénaire

"    Comme nous l’avons vu en introduction, la locution «intelligence artificielle» est choisie à Dartmouth en 1956 par un congrès pluridisciplinaire composé de chercheurs et de mathématiciens pour qualifier leurs travaux visant à s’approcher d’une forme d’intelligence issue de leurs propres cerveaux.

 

Contrairement à l’informatique (que l’on ne dénommera officiellement ainsi en France qu’après accord du Général Président en 1962) dont elle a partagé depuis le début du siècle une part des connaissances, l’intelligence artificielle (IA):

  • a une ambition démesurée: quand l’informatique ne vise qu’à constituer des «chaînes» de code répétitives, l’IA vise l’expertise des meilleurs cerveaux et la spontanéité de la réponse,
  • a recours intensément aux mathématiques pour créer des modèles et à la recherche neurologique (peu avancée en 1956) pour identifier des analogies inspirantes.

Deux photographies pour illustrer la différence de développement entre informatique et intelligence artificielle, d'abord en 1942, l'atelier de perforation numérique d'une  banque; puis en 1959, un robot à deux touches dans un laboratoire de recherche en IA.  

  • se cantonne dans les laboratoires et les salles de congrès, l’informatique se construit depuis trois décennies dans des usines (machines mécanographiques) et de supports des informations (cartes perforées, bandes magnétiques, listings) et impose dans les entreprises ses «salles machines» et ses «ateliers de perforation» (de cartes).

L'intelligence artificielle en 1959, vidéo INA, 45 secondes (première vidéo consacrée à l'IA conservée sur le site de l'INA)

En 1956, pas encore sorti de l’école communale et peu attiré par les fantasmes véhiculés par la science-fiction, j’ai échappé au cadeau de Noël en forme de robot humanoïde alors très en vogue… et à la connaissance de ce qu’est l’IA, si ce n'est de très loin par l'entremise des robots-jouets.

Les robots d'hier à aujourd'hui,site personnel, 14 05 2022, texte et illustrations (dont celles des robots des années 50 empruntées ci-dessous)

Par contre, les ordinateurs et IBM me sont – relativement – familiers depuis le début des années 50 car un voisin parisien de la cousine du Locheur (dans le Calvados) se faisait remarquer avec un coupé Ford Comète, une voiture qu’il avait pu s’offrir, disait-on, parce qu’il était "dans les ordinateurs" ou "chez IBM".

Les connexions de ma mémoire ...d'abord : l'IA associée de très loin à un robot-jouet; puis  : un voisin parisien de la cousine, riche propriétaire d'une Ford Comète parce qu'il travaille "dans les ordinateurs" chez IBM

 

La télévision n’était pas encore arrivée au Locheur mais la radio, les vacanciers ou peut-être Ouest-France avaient-ils porté la renommée des premiers ordinateurs et d’IBM dans ce hameau à l’écart des grandes voies de communication.

En 1955, l'usine IBM de Corbeil Essonnes mérite bien une carte postale
En 1955, l'usine IBM de Corbeil Essonnes mérite bien une carte postale

Ma mémoire est régulièrement rafraîchie jusqu’en 1956 par mon parrain qui se voudrait omniscient et répète à intervalles réguliers que «les ordinateurs représentent l’avenir» (assertion fréquemment utilisée par les journalistes) et mes parents surenchérissent alors en évoquant le voisin de la cousine qui, sans attendre l’avenir, gagne déjà largement sa vie en travaillant chez IBM.

 

En 1956, un des périples banlieusards dans la 4CV Renault familiale nous conduit à Corbeil-Essonnes ou mes parents me font remarquer une usine qui porte les trois lettres magiques IBM. Une carte postale de 1955 témoigne d’une dimension du bâtiment sans commune mesure avec ce qu’il deviendra dans les décennies qui suivront.

 

En 1956, je ne sais pas grand-chose de plus sur l’informatique et sur l’intelligence artificielle. Ce qui suit résulte donc de mes lectures préalables à l’écriture de cette chronique 67 ans pas plus tard.

 

A la forte motivation pour faire progresser l’IA durant les années de guerre en matière notamment de chiffrement (et de déchiffrement …) a succédé une période d’investissement moins acharné dans les laboratoires. Il s’agissait d’abord de reconstruire (crise du logement du fait notamment des régions bombardées) et de faire «tourner l’industrie» (les machines-transferts chez Renault par exemple).

 

Néanmoins, de 1946 à 1956, des progrès ont été faits dans la discrétion des équipes de recherche :

  • programmation IA avec des langages développés pour l’informatique de gestion, l’assembleur d’abord commercialisé en 1954 puis des versions de test du Fortran qui sera mis sur le marché en 1957,
  • John Mc Carthy, qui a 29 ans en 1956, travaille à la mise au point du premier langage adapté à l’IA, le LISP (list processing). Ce langage sera disponible à la vente deux ans plus tard. Doté d’une syntaxe simplifiée, il est plus adapté aux particularités de l’IA et ouvre la voie à une IA adaptative et évolutive en permettant la génération d’autres programmes LISP à partir de programmes initialement écrits en LISP,
  • Frank Rosenblatt, 28 ans en 1956, développe un modèle mathématique des réseaux de neurones artificiels. En 1957, il présentera le Perceptron, réseau de neurones artificiels, algorithme permettant l’auto-apprentissage de l’ordinateur à partir de données qui lui sont soumises.

 

L’enthousiasme et l’intelligence de ces jeunes chercheurs ne débouchent néanmoins pas encore sur des réalisations du fait de la puissance et des volumes de données que sont alors capables de traiter les ordinateurs.

Ainsi, le premier ordinateur annoncé par IBM en 1952 avait une capacité de traitement de 5000 opérations par seconde soit 5 KFLOPS (et cela était alors considérable) quand:

  • dans les années 80, notre prochaine étape, la capacité des ordinateurs s’exprimera couramment en megaflops soit 10 puissance 6 FLOPS (Méga FLOPS ou MFLOPS), permettant à l’IA de sortir des laboratoires,
  • en 2021, pour la mise au point de ChatGPT, plusieurs centaines de 10 puissance 12 FLOPS (TéraFLOPS ou TLOPS) ont dû être mobilisées, le cap des ExaFLOPS (10 puissance 18 FLOPS) étant franchi en 2022 par le supercalculateur Frontier.

Cela explique l’accélération des étapes à venir jusqu’en 2023 et, sans nul doute, plus encore après.  "

Pour écrire l'étape 1956 de cette chronique, j'ai compulsé les ouvrages suivants pour leurs contributions à l'histoire de l'intelligence artificielle à ses premiers âges:

Les incertitudes dans les systèmes intelligents, Bernadette Bouchon-Meunier et Hung To Nguyen, PUF Que sais-je? 1996

 IA La plus grande mutation de l'Histoire, Kai-Fu Lee, Les Arènes 2019

Deep Learning avec Tenser Flow, Aurélien Géron, Dunod 2017

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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