Intelligence Artificielle

1985 Connaissances et reconnaissances

"    Passées les années de l’immédiate après-guerre, l’intérêt pour l’intelligence artificielle a subi des hauts et des bas, vraisemblablement en l’absence de réalisations spectaculaires et rapides à la hauteur des attentes.

Pour cette période qui s’étend des années soixante aux années quatre-vingt, les ouvrages que j’ai consultés évoquent même des «hivers de l’IA» sans que j’aie pu trouver une explication convaincante à cette expression. Si hivers il y a eu, les autres saisons les ont bien compensés.

 

Je l’avais évoqué en citant les progrès que l’on doit aujourd’hui aux fonctionnalités de nos smartphones mais dont on commençait à voir des réalisations en 1974 notamment dans le domaine de la reconnaissance de l’écriture (lecture optique de caractères manuscrits) et de la parole.

IA et inclusion
Le mot inclusion n'était pas encore à la mode mais l'IA y contribuait déjà ...

Certaines de ces fonctionnalités faciliteront grandement la vie des personnes handicapées:

  • la synthèse vocale à destination des personnes aveugles ou malvoyantes,
  • des interfaces de pointage alternatives comme les trackballs, les joysticks, ou les souris à reconnaissance de mouvements pour les personnes atteintes de troubles de la mobilité et de handicaps moteurs,

et des études engagées sur des logiciels de communication améliorée et alternative (CAA) pour aider les personnes souffrant de troubles du langage à s’exprimer (soit en leur proposant des icônes, soit une palette de mots approchant leur expression).

 

Bien entendu, les résultats ne sont pas à la hauteur de ce que l’on peut constater avec les reconnaissances (voix, images, textes …) sur nos appareils d’aujourd’hui mais cela débouchera sur le développement des premiers assistants virtuels. A noter que certains (clavier-écran ou voix) survivent encore, ne proposant que quelques mots ou quelques questions fermées auxquels il convient de répondre avec le professionnalisme d’un speaker de la TSF de mon enfance, au risque de demeurer à tout jamais incompris ou d’être satellisé sur un sujet sans rapport.

 

C’est ce qui vient de m’arriver il y a tout juste quelques jours en demandant de l'aide au constructeur de mon imprimante de l'ordinateur, qui est également un fabricant d’ordinateurs et de logiciels, un comble en l’occurrence ainsi qu'on va le constater.

Mon problème tenait au fait que le logiciel de cette imprimante pour assurer la numérisation (d’un fichier) restait «momentanément indisponible» depuis plusieurs jours, me demandant de réessayer «plus tard».

Quand ma patience fut épuisée, je fis appel à l’assistant très virtuel (seule voie de recours après dépassement de la période de garantie). Au terme de plusieurs tentatives infructueuses, le cas n’étant pas explicitement prévu dans les questions fermées, je voulus cesser de perdre mon temps avec cet assistant antédiluvien et il me demanda en outre si j’avais encore un peu de temps pour répondre à une enquête de satisfaction …

 

J’en profitais pour tester ChatGPT en lui expliquant l’impasse dans laquelle j’étais avec ce fournisseur. Il ne me fournit pas la solution mais comprit immédiatement mon problème et me communiqua avec sa célérité habituelle une liste des pistes possibles susceptibles de m'aider. Il me fallut, grâce à cette aide et à mon intelligence très moyenne, quelques minutes pour retrouver la numérisation.

 

Fin de ce saut dans le temps d’une quarantaine d’années qui mesure à la fois les progrès réalisés et le parti que de nombreux pseudo-assistants pourraient tirer aujourd'hui d’un dialogue plus efficace utilisant les progrès réalisés en IA depuis les années quatre-vingt.

 

Schéma de principe d'un système expert
Schéma de principe d'un système expert

Les systèmes experts, que l'on appellera aussi systèmes à base de connaissances,  constituent la seconde grande avancée de cette trentaine d'années qui s'achève.

 

Approche d'IA utilisant des règles et des bases de connaissances pour résoudre des problèmes spécifiques, ces règles étaient généralement fournies par des experts humains dans le domaine concerné et recueillies par des professionnels aguerris à ce type de recueil de données.

N.B. Dans son ouvrage alertant sur les risques de l’IA, Romain Kroës, pilote d’avions puis instructeur de pilotes rappelle le biais bien connu des ergonomes en la matière: le meilleur expert peut omettre des séquences qu’il oublie parce qu’il les maîtrise trop bien. J’ajouterai qu’il peut aussi plus ou moins volontairement «oublier» des subtilités qui justifient un titre d’expert qui font sa valeur ajoutée qu’il redoute de perdre du fait de la survenance de l'IA.

 

Un logiciel de type système-expert est conçu pour résoudre des problèmes spécifiques en utilisant des bases de connaissances explicites et des règles logiques. Ces connaissances sont généralement fournies par des experts humains de domaines d'expertise relativement bien délimités et suffisamment restreints pour être compatibles avec les contraintes de l’époque.

 

Logo Dendral

Les systèmes experts ne constituaient pas la seule approche IA opérationnelle mais ils étaient de loin les plus utilisés dans la période considérée.

Ainsi, l’un des premiers systèmes-experts, DENDRAL, écrit en langage LISP (apparu en 1958) est créé aux Etats-Unis en 1965 pour identifier les composants chimiques d’un matériau.

On constate ensuite un grand éclectisme des domaines couverts avec notamment différents pans :
    • de l’industrie (en plus de DENDRAL pour la chimie),
    • de la médecine,
    • du conseil financier,
    • du droit.


Il faut bien noter que les créneaux adressés restent très restreints. Ainsi, pour ne considérer que celui de la médecine, les fonctions de quelques-uns de ceux apparus dans les années soixante l'illustrent bien :
    • aide à la surveillance des infections nosocomiales et la gestion des épidémies dans les hôpitaux (HEP),
    • aide à l’optimisation de la prescription d'antibiotiques en se basant sur les résultats de laboratoire et les profils de sensibilité aux antibiotiques des bactéries (SCAMC),

 

et d’autres encore apparus dans les années soixante-dix:
    • pour aider au choix d’antibiotiques (MYCN),
    • pour assurer une surveillance épidémiologique en temps réel à partir de données de symptômes et de diagnostic afin de détecter et de suivre les épidémies de maladies infectieuses (RODS),


et dans les années quatre-vingt:
    • aide pour l’analyse d’examens de laboratoire concernant des maladies rhénales (CADUCEUS),
    • aide à la décision clinique concernant des patients atteints de cancers (ONDOCIN).


Même si tous ces systèmes experts ne revendiquent que des fonctions d’aide aux humains soignants, leur domaine est celui de l’appréciation du risque parfois vital pour les humains patients, ce qui démontre déjà un degré de confiance élevé dans leurs résultats.


Les systèmes experts mentionnés précédemment ont tous été développés outre Atlantique (Etats-Unis et Canada). Il ne faudrait pas en déduire que l’Europe et la France sont exclus de ce déploiement de l’intelligence artificielle. 

Lancement de la fusée ARIANE
Lancement de la fusée ARIANE

Ainsi, dans les années quatre-vingt, en France, de grandes entreprises se dotent de systèmes experts, à commencer pour des domaines à risque majeur (financier ou humain):
    • MINOS au CEA pour la surveillance des centrales nucléaires,
    • ARIANE au CNES pour l’analyse des anomalies de vols des lanceurs des fusées,
    • SYCOMORE à THOMSON CSF pour la maintenance des radars et des systèmes de défense aérienne,
    • MITHRA à la SNECMA pour la maintenance des moteurs d’avions,
    • RENEX chez RENAULT pour la maintenance des moteurs de voitures,
    • EXPERT ASSIST commercialisé et utilisé par IBM pour aider au diagnostic et à la réparation de ses équipements.  

 

L'intelligence artificielle que le grand public découvre en 2022 avec ChatGPT avait déjà à son actif des réalisations tangibles.

Je n'en veux pour preuve de cet écart que les dates d'édition des livres intégralement consacrés à l'Intelligence Artificielle disponibles à la médiathèque d'Orléans : de 2018 à 2023.

Or, cette médiathèque de la métropole dispose - en sus de ses livres en rayons au site central et de l'accès à ses annexes par internet - de réserves riches en ouvrages très antérieurs dans lesquelles je puise habituellement avec profit. "      

Pour écrire l'étape 1985 de cette chronique, j'ai compulsé notamment l'ouvrager suivant pour la difficulté du recueil des connaissances des experts humains:

Décrochage - comment l'IA fabrique de nouveaux esclaves, Romain Kröes, FYP 2020

 

Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer

 

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