Baby-boomer
Justice
2022 Présumé
" Présumer, c'est selon le dictionnaire du CNRS «croire d'après certains indices, se faire une conviction sans preuves, considérer comme probable».
Appliqué au langage judiciaire, un présumé est une personne mise en examen et emprisonnée le cas échéant (dans ce cas pour meurtre aggravé et pas même pour un homicide involontaire résultant d'une dispute) mais qui demeure présumée innocente jusqu'à ce qu'un jugement soit prononcé (éventuellement après avoir été confirmé en appel).
De là naît toute l'ambiguïté du statut du présumé, ambiguïté à laquelle n'échappe pas Cédric Jubillar en prison depuis plus de six mois en ce début d'année 2022 et en l'absence d'un plan de sortie d'une instruction engagée depuis plus d'un an avec, comme l'avait souligné le précédent Procureur lors de sa conférence en juin, le déploiement d'un luxe de moyens d'investigation tout à fait exceptionnel.
Un événement important marque les premiers jours de 2022: «Le Procureur a menti» titre L'Indépendant. Le mensonge dont il est ici question est celui du Procureur en poste en juin et ce mensonge (partagé lors de la conférence de presse par le colonel de gendarmerie commandant la section de recherches de Toulouse) porte sur la couette que le présumé se serait empressé d'introduire dans la la machine à laver la nuit-même de la disparition. Preuves tangibles à l'appui, lors de la perquisition effectuée le jour-même, les gendarmes ont pris des photos des lieux et sur plusieurs d'entre elles la fameuse couette est posée sur le canapé du salon.
Jubillar: l'énigme de la couette – 07/01, BFMTV, 7 1 2022, 7 minutes 40
A ce couac de la couette s'en ajoute un autre que la Dépéche a dévoilé le 1 janvier et rapporté par les avocats du présumé, événement non repris par la presse nationale et n’ayant pas infléchi le cours du traitement de l’affaire (secret de l’Instruction ?): le 1 janvier 2022, ce journal régional annonçait que le “pyjama blanc avec des chatons noirs” que portait Delphine pour dormir sur le sofa du salon avait été retrouvé bien visible sur un autre cliché des gendarmes et que sur cette photo (prise également le jour même de la disparition) figuraient d’autres vêtements qui “signifieraient que Delphine Jubillar se serait changée, en fin de soirée, pour partir de la maison de son plein gré”.
Delphine a-t-elle en réalité quitté la maison ?, La Dépéche, 11 1 2022, texte + 45 secondes
Selon moi, ce pyjama retrouvé qu’elle portait pour regarder la télévision avec son fils la soirée du 15 décembre pourrait aussi bien être dû à un départ plus ou moins contraint.
En tout état de cause, aucune explication ne fut donnée à la presse le 28 février au quatrième refus de remise en liberté sous conditions du présumé (secret de l’Instruction ?)
Pourtant ces “oublis” avaient évidemment pesé lourd dans la justification de la mise en examen expéditive du présumé qui avait suivi la conférence de presse du 16 juin 2021.
On a vu par contre que le procureur devait perdre son affectation (et son titre) peu de temps après cette unique et tardive conférence de presse.
Le 9 février 2022, le troisième Procureur en exercice depuis septembre 2021 prend la parole pour la première fois. Sans revenir sur l'affaire de la couette, il s'en tient à déclarer «faire tout pour rendre le corps de Delphine à sa famille» et précise que le surlendemain 11 février, le mari sera à nouveau entendu au sujet de confidences qu'il aurait faites à un codétenu: il aurait caché le corps près d'une ferme abandonnée de Cagnac les Mines.
Fouilles et recherches effectuées, l'information était un bobard et peu importe qu'il provienne d'une nouvelle provocation du présumé ou de la recherche du codétenu de tirer bénéfice de sa collaboration spontanée à l'exercice de la justice … Le Procureur aurait pu attendre encore un mois de plus.
Le 1 avril (sic), le site local indique que la mère de Cédric, après consultation d'une voyante, répète qu'elle croit possible la culpabilité de son fils.
La mère de Cédric hésitante s'est renseignée auprès d'une voyante, Public, 1 4 2022, texte
En mai, les avocats du "présumé" demandent au Parquet d'enquêter sur la multiplication de fuites dans la Presse d'informations soumises au secret de l'instruction.
Le 19, le Procureur se dit agacé que la probité de la Justice soit mise en cause. Il n'entend apparemment pas donner suite à la demande motivée des avocats.
Le 12 juillet, FR3 reparle du Procureur d'Albi suspendu depuis mai 2021 et dont le cas a été instruit par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Il n'est pas précisé si cette institution suprême a été saisie, comme c'est la règle, par le Procureur Général près la cour d'appel ou par le Garde des Sceaux. Cette institution recommande la démission du magistrat, sanction rare reposant sur des «manquements graves à des obligations professionnelles».
Le 17 août au cœur des vacances, France Info nous apprend que l'information précédemment communiquée par FR3 datait puisque la décision avait en fait été prise le 21 juin par le Ministre de la Justice (et notifiée à l'intéressé le 27 du même mois) : les fonctions de Procureur lui sont retirées et il est soumis à un déplacement d'office à Marseille ou il est nommé premier vice-procureur près du tribunal judiciaire.
Le procureur d'Albi, Alain Berthomieu, sanctionné, franceinfo, 17 8 2022, texte
L'intransigeante sanction proposée par le Conseil Supérieur de la Magistrature s'est donc transformée en mutation d'office ailleurs. Les secrets des instructions respectives du CSM et du cabinet du Ministre nous privent des réponses expliquant cet écart significatif entre ces jugements internes, de même que nous avions été privés d'une motivation détaillée dans le cas de la mutation du Procureur de Toulouse. Notamment de l'influence de la conduite de l'affaire Jubillar dans ces sanctions et de l'incidence d'éventuels manquements sur le déroulement normal de l'Instruction de cette affaire.
Et peut-on encore parler de sanction lorsque de Procureur d'Albi (commune de moins de 50 000 habitants), chef-lieu du département du Tarn peu coutumier des grandes affaires, on se voit imposer un poste de premier vice-procureur de la deuxième ville de France (870 000 habitants), ville soumise à une notoire délinquance grande et moins grande? La fonction est-elle vraiment moins prestigieuse, moins importante pour la justice du pays, moins bien rémunérée?
Le printemps et l'été se sont déroulés sous d'autres rumeurs et pseudo-rebondissements mais sans progrès connu de l'Instruction (quelle origine attribuer au secret de l'instruction d'une part et à la stagnation du dossier d'autre part?):
- Delphine se serait réfugiée en Espagne,
Delphine en Espagne ? Buzzbuzznews, 10 5 2022, 4 minutes 20
- les enfants du couple auraient été drogués le soir du drame supposé (et donc la «déposition» du gamin de six ans qui avait entendu des éclats de voix durant la nuit de la disparition, seconde «déposition» recueillie bien après les faits, …),
Les enfants drogués le soir de la disparition ?, Public, 2 8 2022, texte et illustration
- la concubine temporaire de Cédric (après la disparition de l'une et avant l'incarcération de l'autre) aurait fait des révélations embarrassantes pour le présumé,
Les confidences glaçantes de Séverine, FranceLive, 5 9 2022, texte et illustrations
- le corps de Delphine serait dans un cimetière (sur cette base, on exhume neuf corps et on s'en tient là pour la double centaine restante dans les lieux),
PAGE DESACTIVEE DEPUIS Le corps de Delphine Jubillar retrouvé dans un cimetière ? , Marie France, 7 10 2022, texte et illustrations
- la concubine de Cédric révise son jugement: elle le voyait pleurer et il cherchait des réponses à la disparition de Delphine.
Séverine, l'ex-compagne de Cédric, se confie, La Dépêche, 18 10 2022, texte et illustration
Cette liste ne prétend pas à l'exhaustivité. On pourrait notamment y ajouter la révélation soudaine de Delphine décidant en pleine nuit de partir faire le jhiad à pied.
N.B. Comme souvent, la presse à l'origine de ces «informations» assortit les titres d'un prudent point d'interrogation et le texte tempère le titre accrocheur.
En octobre, j'apprends que, répondant aux demandes réitérées des avocats du présumé, une reconstitution sera organisée le 9 novembre sur les lieux supposés du drame. Quand tant de moyens coûteux ont été déployés (militaires, experts, hélicoptères …), cette modique reconstitution pour le moins tardive suscite ma curiosité et m'incite à comprendre ce qui s'est passé (ma reconstitution basée, je le rappelle, sur les informations qui n'ont pas encore bénéficié du «droit à l'oubli» sur internet).
En Octobre également, les avocats du présumé essuient leur sixième refus de remise en liberté sous bracelet et contrôles.
Le maintien en détention de Cédric Jubillar confirmé, franceinfo, 18 10 2022, texte et illustration
Je m'en étonne toujours car le présumé, au personnage public aussi peu sympathique qu'il m'apparaisse, ne mérite certes pas d'être indéfiniment cloîtré faute d'éléments suffisants pour le juger.
«Présumé innocent» selon les termes de la loi (de jure) mais «présumé coupable» de fait (de facto)...
De plus, à supposer qu'il soit coupable, le présumé, narcissique et provocateur comme il se comporte, aurait bien fini par commettre un faux-pas qui l'aurait condamné plus sûrement et plus rapidement que la seule habileté du système judiciaire jusqu'à présent.
In extremis addendum: le 27 octobre, la presse annonce que la reconstitution prévue le 9 novembre est reportée sine die
Pourquoi ? RTL,27 10 2022, texte et illustration
Elle est finalement reportée au 13 décembre sans explication sur le besoin de prolonger de plusieurs semaines un délai qui atteindra à cette nouvelle date à peu près deux ans d’instruction avec des moyens considérables et un an et demi d’incarcération du présumé.
Peu de temps avant, un avocat de la partie civile estime pouvoir mettre mal à l’aise le présumé et ses avocats et ainsi démontrer sa culpabilité.
Le journal d'Europe 1 donne à chaud le lendemain matin donne un compte-rendu dont on verra en 2023 que cette reconstitution n'a guère apporté d'élément nouveau. En tout état de cause le présumé et ses avocats n'ont pas changé de position.
Le Procureur ne s'exprimera pas. Il faudra changer d'année une nouvelle fois pour en savoir plus. "
Textes entre guillemets extraits de l'Abécédaire d'un baby-boomer
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